2023 – Les enfants du secret prisonniers du silence

 Accueil par notre Coordinateur responsable du Centre Femmes / Hommes – Verviers, Alexandre BRUNET

En l’absence de notre Président, Saïd NAJI, retenu par ses obligations professionnelles, notre Coordinateur du CF/H-V, Alexandre BRUNET, prend la parole et remercie les participant-e-s.  Il remercie le Centre Touristique Laine & Mode de Verviers et plus particulièrement, sa Directrice, Michèle Corin, et Nicolas Grandjean, Président de l’Harmonie qui nous ont prêté la salle.    Il remercie aussi les différentes intervenantes du jour pour leur présence et l’aide apportée à la mise en route de cet après-midi d’échanges autour de l’inceste.  Jeannine Gerlach, Présidente d’honneur de notre association, est chaleureusement remerciée car elle l’initiatrice de ce travail sur l’inceste et elle s’est donc beaucoup impliquée pour l’organisation de la rencontre.

Accueil par Jeannine GERLACH

Bonjour à toutes et à tous,
Aujourd’hui, je vous remercie de vous associer à nous pour mieux comprendre et combattre ces crimes provoqués par l’inceste sur les enfants.  Ceux-ci continuent parfois jusqu’à  l’âge adulte.

Nous avions déjà prévu de vous présenter ce colloque / débat en 2021, mais la pandémie du COVID19 nous en a empêchés.

Pourquoi aujourd’hui, avons-nous choisi de vous présenter une nouvelle fois ce sujet ?

Parce que l’inceste est un crime perpétré sur les plus faibles de la société : NOS ENFANTS.

Parce que le confinement obligatoire imposé par la pandémie du COVID 19 a mis en lumière une recrudescence des maltraitances infantiles au sein des familles.  L’homme incestueux est chef de famille et il a autorité sur les membres de cette famille et d’autant plus sur les enfants d’où l’ampleur des violences sexuelles imposées aux enfants.

Parce que l’inceste est une violence sexuelle commise par un parent ou par un membre de la famille ou par une personne ayant autorité sur l’enfant.

Il apparaît qu’en grande majorité, les auteurs de ces violences sont des hommes. Sur 5 enfants, 4 filles sont des victimes.  84 % des viols et agressions sexuelles sont opérés sur des mineur-e-s.  Ensemble, ils sont 94% d’agresseurs et souvent des proches.  Le profil d’agresseur peut se retrouver dans tous les milieux de la société, chaque situation est singulière et différente.  Le pire arrive quand il s’agit du père, de la mère ou du grand-père de l’enfant.  Des visites de l’oncle ou du cousin du couple sont souvent l’opportunité d’actes incestueux.

Maintenant, je passe la parole à Sylvie LAUSBERG, historienne et psychanalyste.  Elle dirige le Département Etudes et Stratégies de l’Action laïque.  Elle fut Présidente du Conseil des Femmes Francophones de Belgique pendant 4 ans et reste Présidente de sa Commission Ethique.  Depuis mai 2022, elle est Secrétaire générale Europe du Conseil International des Femmes,  Ses actions prioritaires : l’accès à l’IVG en Belgique et en Europe ainsi que l’Egalité réelle entre les femmes et les hommes pour une politique féministe active.  Elle est chargée de séminaires à l’Ecole de santé publique et forme les professionnel-le-s à la pratique de l’analyse psychanalytique à destination des professionnel-le-s dans les centres de santé mentale, les centres de plannings et les centres qui accueillent des enfants et adolescents

L’inceste est un sujet est très marqué par le tabou et je remercie le Centre F/H – Verviers d’avoir osé mettre ce thème en avant car il s’agit d’une question de société et en même temps, cela reste totalement encapsulé dans nos esprits.  Il y’a une difficulté d’aborder la question de l’inceste et on va comprendre pourquoi on est encore aujourd’hui dans une société qui veut pas voir la réalité en face.  On définit l’inceste non plus comme un abus sexuel mais il est qualifié d’agression sexuelle réalisée par les parents ou l’un des alliés de l’enfant. 

Dans la grande majorité des cas, les auteurs de ces violences sont des hommes et les victimes sont des mineur-e-s.  Les violences incestueuses sont en fait la manifestation dans la sphère privée d’une relation de pouvoir inégale.  Notre société est construite sur un modèle sexiste car il y’a différence de traitements entre les filles, les femmes, les garçons et les hommes.  Il y’a tout un travail de déconstruction de la Loi pour en arriver à une égalité sur papier entre les hommes et les femmes.  La Belgique a inscrit le principe d’égalité dans la Constitution en 2002 et ce n’est pas si ancien que cela.  Cette inégalité est la source d’une forme de domination qui était légitime auparavant, les pères avaient tout droit sur leurs enfants et sur leur femme. 

On peut voir dans les relations et les agressions incestueuses la marque de cette culture de la domination par l’homme.  On parle d’agressions et il est important aussi de ne pas parler de mineurs mais d’enfants et de victimes.  Il y’a aussi des adultes qui restent dans ce statut d’emprise et qui sont donc eux aussi des victimes d’inceste. 

On n’a pas des chiffres très clairs, on manque de données mais il n’empêche que l’Organisation Mondiale de la Santé estime que 95 % des agressions sont perpétrées par des hommes qui ont un lien, pas seulement biologique, avec la victime dans une relation de proximité.  Si l’on ne peut évaluer de façon certaine la prévalence des agressions, on sait que cela n’épargne aucune sphère de la société.  Les dépôts de plaintes ne permettent pas de prendre en compte la majorité des situations puisque les victimes ne parlent pas.  Pour que les victimes puissent parler, nous devons d’abord ouvrir nos oreilles et nos yeux.  Il est très difficile de faire face car qu’est-ce qui est plus choquant que l’agression sexuelle d’un enfant ou d’une victime qui n’est pas mineure ? 

En ce qui concerne les victimes, les études permettent de dégager quelques caractéristiques : on a abordé la dimension intra-familiale concernant les victimes mineures.  Les victimes adultes nous montrent que l’inceste n’est pas un cas isolé dans l’histoire mais une forme de domination qui s’adjoint à d’autres formes de domination et d’emprise.  C’est pour cela qu’on est parfois face à des situations d’adultes victimes sous l’emprise d’autres adultes car la domination se poursuit parfois à l’âge adulte si l’on ne parvient pas à y mettre fin.

La domination des mâles sur les filles est importante car en Belgique, 90 % des garçons agressent des filles et ce n’est pas la dimension sexuelle qui est au cœur de ces agressions, c’est la domination.  Ces violences sont perpétrées par 90 % d’hommes mais ¼ de ceux-ci sont des mineurs donc, le débat de société doit vraiment avoir lieu; nous devons travailler dès la maternelle pour détecter tout soupçon de cette domination qui s’exerce.  Aujourd’hui, après 50 ans de militantisme en Belgique, nous sommes dans un débat pour inscrire le principe d’éducation sexuelle et affective dans le cursus scolaire.  La première proposition de Loi date de 1975.  Ce jeudi 8 septembre aura justement lieu au Parlement de la Fédération Wallonie – Bruxelles le vote qui doit permettre d’obliger les écoles à procurer des animations sur la vie relationnelle, affective et sexuelle en 6ème primaire et en 4ème secondaire de manière obligatoire avec des intervenants labellisés.  On ne peut pas raconter n’importe quoi comme c’est le cas actuellement. 

Nous, au Centre d’action laïque, on travaille beaucoup car on ne peut pas inscrire n’importe quoi pour que ce guide appelé EVRAS, soit présenté sur des plages beaucoup plus larges in fine.  C’est bien à l’école que l’on va toucher tous les enfants parce que si certains ont chez eux une information sur la sexualité, le consentement, et sur ce que l’on peut faire ou ne pas faire, beaucoup n’ont pas cette information. 

L’école est le lieu où tout le monde se retrouve sans distinction.  On constate dans notre société des personnes opposées à cette éducation sexuelle ; certains pensent qu’il ne faut pas parler trop tôt de cela, que cela va inciter les enfants à devenir homosexuels, c’était la grande phobie de l’an 2000 et la Ministre de l’Enseignement de l’époque pensait que cela allait susciter des réactions homosexuelles.  Cette difficulté à parler de la sexualité comme un fait social est étonnante car il n’y a pas de société sans sexualité.  Cela existe, tout le monde ou presque fait l’amour et nos enfants doivent savoir ce dont il s’agit à la hauteur de leurs questionnements et des moyens de comprendre ce dont on parle.  Il ne faut pas devancer leurs questions évidemment.  Les rédacteurs de l’EVRAS sont formés à ces animations et travaillent généralement dans des plannings avec une formation à ces animations.

Dans l’analyse des agressions sexuelles, il faut pointer aussi le fait que l’agresseur domine sa victime et on sait à quel point les violences envers les femmes sont elles aussi marquées des mêmes ratios : 90 % des violences sont commises par des hommes même s’il existe également des femmes qui maltraitent leur compagnon.  La conséquence de ces violences est parfois le féminicide.  Au fond, cette domination vise non seulement à mettre l’autre en position d’objet jusqu’à tuer finalement la mère et les enfants.  Cela se joue aussi dans l’inceste car il s’agit d’une mort symbolique et sociale. 

Dans le processus de domination incestueux, ce qui est au fond mis en place par l’agresseur est d’annihiler la volonté de la personne sur laquelle on jette son dévolu et cela passe par des menaces systématiques, la culpabilisation, le fait d’imposer des rapports sexuels puis de retourner toute la faute sur sa victime qui, elle, porte la honte.  Comment faire pour se sortir de ce système s’il n’y a pas quelqu’un qui peut mettre un mot sur ce qui s’est passé ?  Maintenant, ce mot « inceste » est rentré dans le Code pénal.  Donc, la honte et les menaces sont des éléments qui permettent l’impunité de ces faits et qui sont des phénomènes de société structurels desquels on n’échappe pas par soi-même.  Il s’agit de la responsabilité des citoyens et aussi de l’Etat. 

Jusque dans les années 50 / 60, l’inceste était considéré comme un phénomène privé vu qu’il se passait derrière la porte de la maison.  

Et de phénomène privé, on en a fait un phénomène de société, et donc un sujet du Droit et c’est pareil pour les violences envers les femmes.  C’était pareil concernant les violences conjugales, les femmes n’étaient pas prises au sérieux quand elles allaient se plaindre à la Police.  Aujourd’hui, pour tous les militants, ce n’est plus considéré comme une affaire privée mais bien comme une affaire d’Etat.  Il y’a un devoir de protéger les personnes en situation de vulnérabilité.  C’est aussi une double peine parce que la relation entre la victime et son agresseur est caractérisée par ce qu’on appelle l’emprise.  La victime n’a plus la possibilité de s’exprimer en tant que sujet et elle est tout le temps soumise au rythme des agressions de son bourreau et cela l’empêche finalement de sortir de ce système.  L’auteur – et parfois l’entourage – organise le silence autour de la victime en ayant autorité sur elle en la réduisent au silence par la menace, la violence, le chantage, la culpabilité, …  Et aussi souvent via un discours qui désinforme la victime sur les faits incestueux.  Alors, l’enfant, s’il n’a pas justement un autre discours lui expliquant qu’il a le droit de dire « non » et que ces actes sont illégaux et anormaux, comment pourra-t-il le savoir puisqu’il est mal informé et que la sexualité, c’est un sujet tabou.  A ces peines s’ajoutent encore la réponse à une condamnation par la justice. 

Il y’a quand même la question de savoir qui sont finalement ces agresseurs ?  Les dénonciations des violences sexuelles visent systématiquement des personnes qui construisent leur notoriété et sont au-dessus de tout soupçon, ce qui est plus difficile à dénoncer.  Par exemple, un de mes patients m’a raconté l’histoire de son oncle bien sous tous rapports qui s’en était pris au frère de mon patient.  Son frère est tout à fait passé à côté de sa vie et a connu de graves problèmes d’addictions et a donc eu une vie fichue.  Mon patient m’a raconté qu’un petit-neveu s’était plaint à son frère que cet homme l’avait obligé à pratiquer une fellation.  Mon patient était très embêté et ne savait pas comment réagir alors, il m’en a parlé.  Je me suis arrêtée immédiatement et je suis passée de psy à témoin de ce qui allait se passer.  Soit mon patient décidait de réagir et de déposer plainte immédiatement, soit je ne le recevrais jamais plus.  Il ne s’agissait pas d’un secret professionnel me concernant mais bien de la mise en danger d’un enfant.  Ce travail est très difficile à faire et beaucoup de psys ne le font pas car ils n’ont pas envie de se passer de leurs patients et surtout, parce qu’ils n’ont pas fait ce travail de déconstruction de ces mécanismes que moi j’ai fait.  Ainsi, cela fait que je ne suis pas complice et je ne peux pas entendre qu’il n’y aura pas de dénonciation.  Il y’a finalement eu une plainte anonyme et cet agresseur a finalement été condamné à des peines de prison il y’a de cela deux ans. 

Cela signifie que la question du silence nous concerne tous car nous pouvons être tous confrontés un jour à une victime et nous devons pouvoir ouvrir nos oreilles à ce qui se passe.  La figure d’autorité étant présente,  personne n’osait rien dire même s’il y’avait des soupçons et ce par crainte de déclencher des bouleversements inévitables.  Souvent, la famille refuse d’admettre que l’enfant a subi des dommages psychologiques et nie la situation, ce qui entraîne inévitablement de lourdes séquelles sur l’enfant.  L’enfant doit savoir qu’il y’a des adultes qui disent « non ».  L’interdit de l’inceste fait partie des interdits fondamentaux.  Les prédateurs construisent une sorte de domination inattaquable et se servent de leur position et notoriété pour agresser et détruire.  Cela passe par une forme de sexualité, il ne s’agit pas de désir sexuel mais bien d’une agression.  Cela signifie que la jouissance de l’agresseur prime et il est important de bien pouvoir dire les mots.  Des études démontrent qu’il faut écouter le vécu de la personne pour pouvoir le décrypter.  Les conséquences psychologiques seront importantes.  Si on constate qu’un enfant présente un trouble affectif et / ou du comportement, un manque d’estime de soi, de la dépression, ou se mutile, est hostile à l’égard des autres, présente des troubles du comportement, des problèmes alimentaires, ou scolaires, il faut essayer d’en savoir davantage.  Les conséquences somatiques sont importantes : MST, grossesses non désirées, …  Le viol n’est pas une circonstance qui permet d’obtenir un avortement hors du délai légal de 12 semaines et cela en dit quand même long sur la façon dont on ne prend pas en compte la fréquence des conséquences des agressions sexuelles. 

Un autre élément est la question de l’inceste dans la fratrie.  On sait qu’à l’école, les enfants font des jeux (jouer au docteur, papa et maman, etc) mais par contre, il faut mettre le point sur les comportements incestueux au sein d’une fratrie qui se fondent toujours sur le même mécanisme : la domination.  Il ne s’agit pas de désir ou de sentiment amoureux mais d’enfants plus âgés qui s’en prennent aux plus jeunes dans une relation inégale où il est difficile de se soustraire à l’autorité du plus grand.

Ecoutez le podcast « Le bureau des dominations » de Charlotte Pudlowski sur internet qui est très bien fait ainsi que « Ou peut-être la nuit ».  Ces podcasts peuvent ouvrir les yeux sur des agressions commises sur enfants dans sa propre famille.  Il est important de bien les diffuser.

Il existe aussi le stress post-traumatique.  Une psychiatre française, Muriel Salmona, a théorisé ce que l’on appelle ce stress post-traumatique que l’on retrouve dans toutes les formes d’agressions sexuelles.  Pour se préserver de l’agression pendant l’agression, il se passe une phénomène produit par le corps qui fait que la victime voit l’agression comme si elle était vécue par une autre personne.  Le stress post-traumatique (amnésie) referme l’événement pour pouvoir poser un pas et encore un autre pour pouvoir recommencer à vivre.  Les victimes, pendant un certain temps, n’ont pas accès de manière consciente à ce qui s’est produit.  Cela s’inscrit dans l’inconscient.  Consciemment, elles n’ont pas accès et la dimension de ce qui s’est passé n’est jamais égale à l’importance des faits et ce, toujours dans un processus de survie.

Ces dernières années en Belgique, on a assisté à de curieux changements mais malgré tout, le Ministre de la Justice a réformé le Droit pénal.  Le mot « inceste » n’était pas inscrit dans le Code pénal jusqu’en 2019, cela n’existait pas.  Donc, il ne faut pas s’étonner que dans la société, cela ne se dit pas si le Droit ne peut même pas l’inscrire …  Articles 418 et 419.  Le malheur chez nous, c’est le nombre d’enfants qui doivent vivre avec ces agressions dans leur vie et qui, eux-mêmes, vont se retrouver dans des situations où ils seront victimes voire même auteurs.  On ne peut pas en sortir seul.  Avec le Code pénal, des réunions comme celle d’aujourd’hui, avec les artistes qui sortent leur propre vécu de l’ombre, on va enfin pouvoir donner aux enfants et à leurs mamans la protection qu’ils méritent.

Nous passons maintenant la parole à Lily BRUYERE, Coordinatrice de l’ASBL SOS- Inceste

Elle veut nous faire comprendre comment aborder l’inceste et comment le détecter.

Notre équipe pluridisciplinaire accueille des adolescents, femmes et hommes, confrontés ou ayant été confrontés à des violences intra-familiales.  Depuis 1989, nos compétences au service des victimes sont : l’accueil, l’écoute, l’accompagnement et le soutien.  Nous réfléchissons ensemble à la manière d’accompagner ces personnes dans les problématiques qu’elles exposent.  La mise en confiance est prioritaire. 

On entend par inceste les actes à caractère sexuel commis sur un mineur par un parent ou ascendant en ligne directe / jusqu’au 3ème degré, ou toute autre personne occupant une fonction similaire au sein de la famille, comme l’adoptant ou les parents de l’adoptant. 

Selon un rapport de l’OMS rendu public en 2014, 20 % des femmes et 5 à 10 % des hommes ont subi des violences durant leur enfance.  Dans 70 % des cas, lorsque la victime a moins de 6 ans, l’agression est incestueuse.  Dans 96 % des cas, l’agresseur est un homme et dans 94 % des cas, il s’agit d’un proche.  1 enfant victime sur 2 est agressé par un membre de sa famille.  Actuellement, il n’y a pas de données statistiques en Belgique.  Nous aimerions que cette étude soit lancée mais ce n’est pas encore le cas.  A SOS-Inceste, nous comptons 5 à 10 personnes en demande d’aide par semaine.  Les personnes accompagnées le sont à court ou à long terme.  L’inceste est l’impensé, l’indicible … 

Je vous raconte l’histoire de Cathy qui est très significative de ce qu’une personne peut vivre pendant des années : Cathy, âgée de 23 ans, se présente dans nos locaux.  Elle a pris rendez-vous sur les conseils de sa gynécologue et d’une psychologue qui collaborent au sein d’un planning familial.  Cathy s’est rendue dans ce Service afin de recevoir des soins médicaux car elle souffre d’importants problèmes gynécologiques qui l’empêchent de vivre.  C’est son compagnon qui lui a permis de venir consulter un médecin, lâchera-t-elle à la gynécologue, du moment que les soins ne durent pas trop longtemps et que cela ne coûte pas trop cher.  Cela donne déjà une idée …  Son attitude interpelle les soignants, elle parle peu, son visage est triste, un peu comme celui d’une poupée de cire, sans expression, comme éteinte de l’intérieur.  Elle a tout le temps peur comme si quelqu’un la suivait en permanence, elle est hyper vigilante.  Après plusieurs entretiens, et vu le peu de renseignements confiés à la gynécologue, la décision est prise de l’envoyer dans une association qui s’occupe des victimes de violences sexuelles intra-familiales, chez SOS-Inceste.  Cathy ne veut pas contredire ces soignants qui s’inquiètent pour elle et donc, elle rencontre notre ancienne présidente et celle-ci lui propose de rencontrer d’autres femmes victimes et survivantes de violences intra-familiales. 

Cathy accepte, elle a toujours peur, mais elle accepte.  Pourquoi dire non ?  Elle dévoile qu’elle se sent mal dans sa tête et dans son corps et que son compagnon commence à la malmener, à la violenter et l’oblige à faire des choses avec des femmes, des hommes, et c’est de pire en pire.  Elle n’a rien à perdre.  Du moment qu’elle est rentrée à l’heure exigée par celui avec qui elle vit, elle accepte.  Le groupe de parole commence et Cathy écoute les récits des autres, l’une a été violée par son père, l’autre par son grand-père, et encore une autre par son oncle et là, Cathy s’écrie « Mais moi, c’est pas de l’inceste !  Oui d’accord, il était en couple avec ma mère, il nous a élevés avec mon frère, mais il s’est occupé de tout, de me faire entrer dans une école dite spéciale pour les enfants en difficulté parce que je n’arrivais pas à suivre à l’école, j’ai été dans un atelier protégé où un éducateur m’a dit que ce n’était pas ma place.

Il s’est occupé de moi mais il est et a toujours été violent car il ne supporte pas qu’on lui dise non.  Parfois, il me séquestre quand je ne fais pas ce qu’il veut ».  Les autres participantes, dans l’effroi, lui ont dit qu’elle avait bien vécu un inceste et qu’elle devait porter plainte à la Police.  Cathy leur a répondu : « Oui, mais j’ai peur !  Je n’ose pas.  Ma mère me rejette, me déteste, lui, il me dit que je suis nulle et que sans lui, je ne suis rien.  J’étais d’accord de partir avec lui ». 

Nous apprendrons par la suite que la mère de Cathy, que nous nommerons Nicole, et le beau-père que nous nommerons Monsieur Xavier, étaient coupables de nombreux viols et attentats à la pudeur sur les 3 enfants depuis de nombreuses années. 

En qualité qu’intervenants ayant en charge cette situation, nous avons dû établir des stratégies pour faire face à ces situations.  A l’époque, le délai de prescription était de 5 ans et Cathy avait bien voulu partir avec son beau-père et vivre avec lui. 

Nous devions donc trouver rapidement des preuves pour démontrer qu’il s’agissait d’une emprise caractérisée et que Cathy n’était pas consentante.  Les deux avocats qui s’occupaient de l’affaire ainsi que nous-mêmes avons travaillé en collaboration avec Cathy et il a fallu faire un énorme effort de se rappeler où se trouvaient les pièces à conviction dans la discrétion la plus totale, obligeant la victime à être son propre avocat.  Impossible de respecter une temporalité nécessaire à son rétablissement et aux soins.  Il fallait agir vite sans quoi les éléments de preuve risquaient de disparaître.  Si la réforme de la Loi sur le consentement existait à ce moment-là, nous aurions pu éviter une sur-victimisation à Cathy.  Monsieur Xavier sera condamné à 10 ans de prison, et chaque fois qu’il demandait à sortir de prison, la panique s’emparait de Cathy.  Par peur que Monsieur Xavier vienne habiter à côté de chez elle, Cathy se mettra plusieurs fois dans des difficultés financières suite à des déménagements successifs.  Monsieur Xavier mourra en prison mais Cathy ne sera pas prévenue car il ne faisait pas partie de sa famille.  Elle continuait encore à avoir très peur alors qu’il était mort et que personne ne l’avait prévenue.  Cathy a suivi une longue thérapie pour se réapproprier, lui permettant petit à petit de se reconstruire. 

L’inceste est un trauma dit complexe car il est comme le post-trauma mais à la différence que, comme il est perpétré sur des femmes qui vivent avec des enfants, elles vivent avec des traumatismes et une emprise qui s’exerce sur de longues années.  L’enfant sera emprisonné dans un secret, extrêmement complexe, et dans des conflits de loyauté aussi, et comme il restera attaché à son parent, il se retrouvera tiraillé et objet de chantage et menaces extrêmes.  Pendant de longues années, ces enfants seront soumis à ces difficultés et il s’agit donc du trauma complexe.  La durée et l’emprise font la différence avec le post-trauma, comme, par exemple, une personne qui aura été victime d’une agression sexuelle par un inconnu ne vivra pas les choses de la même manière.  Il y’a aussi toute une éducation qui accompagne ces traumatismes et l’agresseur installera une confusion dans la tête de l’enfant qui ne se décidera pas à parler.  L’agresseur bloque toute possibilité de contrôler les réponses émotionnelles de l’enfant, cela fera que l’on reproche aux victimes de ne pas avoir crié ou dit « non » car plus la victime sera jeune et plus son état de sidération sera important.  L’enfant se trouvera alors dans un état de sidération physique et psychologique, ce qui entraînera un traumatisme grave qui est un trouble de la conscience dans un processus d’irréalité, d’étrangeté et d’absence à soi-même.  La victime dissociée sera donc quasi indifférente à sa souffrance et à sa douleur physique.  Certains sont même anesthésiés physiquement et vivent dans une amnésie totale ou partielle empêchant de donner une explication des faits, ce qui pose problème lors d’une audition à la Police.  Il faudra donc une préparation psychique, des soins avant de déposer plainte car autrement le discours sera totalement altéré avec de grands vides dans les explications.

La répétition est régulière pour des personnes victimes d’inceste et celles-ci ont tendance à répéter l’acte et sont à nouveau victimes et deviennent parfois même harceleuses, obsédées de pornographie, avec des déviances sexuelles, … 

On retrouve, comme par hasard, un grand nombre de personnes victimes de violences sexuelles dans la prostitution.  La victime se trouve dans le même rapport de domination avec son proxénète comme le faisait son agresseur dans le passé.  En France, entre 85 et 90 % de prostitué-e-s ont été victimes d’inceste par le passé (statistiques de 2022).  Certaines victimes se retrouvent dans un processus d’identification directe à l’agresseur et reproduisent ses actes car sans soins, ceux-ci deviennent agresseurs à leur tour. 

Au niveau des conséquences de l’inceste sur les enfants, on répertorie : un submergement chez l’enfant des émotions incomprises, un effroi, une perte de repères, des angoisses, des troubles de l’attachement, des troubles du sommeil, des troubles digestif, des arrêts de croissance, une perturbation des références généalogiques, de la confusion, l’enfant est souvent parentifié (il devient le compagnon de sa mère par exemple), des troubles du comportement, une inadaptation, un comportement très sexualisé, une recherche intense d’affection, un excellent cursus scolaire, une insensibilité à la douleur,  … 

Il faut se poser des questions lorsqu’on remarque cela.

Tous les symptômes s’intensifient à l’adolescence, comme : de fortes angoisses, une prise de conscience de son état de victimes, de la colère, de l’agressivité, de la révolte, de la violence, un repli sur soi, de l’automutilation, de l’autodestruction, des tentatives de suicide, des prises de médicaments / stupéfiants, des formes de dépendance, des troubles de l’identité sexuelle, une grande méfiance vis-à-vis des autres, des fugues, et par ailleurs, une grande dépendance affective, comme un appel à l’aide.  Il y’a encore une emprise et des attentes de ces adolescent-e-s vis-à-vis de leurs parents avec une grande difficulté à les quitter et parfois, le début d’une activité prostitutionnelle.

Une fois adulte, les conséquences sont un état de survie, un sentiment de honte et de culpabilité. 

L’amnésie post-traumatique et le refoulement sont des processus permettant à la personne de survivre.  Le clivage et le déni sont également des processus défensifs utilisés par la victime face au traumatisme.  La dépression ou des décompensations psychiques peuvent se déclencher.  Des difficultés affectives ou sexuelles sont fréquentes.  Des séquelles physiques et de graves problèmes de santé peuvent se manifester tout au long de la vie : hypertension, problèmes de stress, troubles et maladies du système digestif, des maladies sexuellement transmissibles, des lésions génitales et du système urinaires irréversibles. 

L’inceste est un véritable problème de santé publique qu’il est urgent de prendre en compte.

Face à de tels constats et de tels chiffres alarmants : écouter, s’interroger, comprendre, sensibiliser tous les acteurs de terrain sur les violences sexuelles et éviter de projeter nos propres représentations de nos familles pour s’oublier et écouter ce que l’autre a à nous dire et à nous révéler.  Prévenir et intervenir de manière précoce sur les enfants victimes de sévices sexuels pour tenter d’enrayer la spirale infernale et transgénérationnelle des maltraitances sexuelles.  Nommer l’interdit de l’inceste dans le Code pénal.  Apporter des soins spécifiques aux victimes de l’inceste et les mettre en sécurité.  Aider les victimes dans leur reconstruction en les reconnaissant sur le plan de la justice de sorte à ce qu’elles restaurent leur histoire et recouvrent leur dignité.  Etablir des ponts de réflexion et d’intervention entre toutes ces problématiques qui sont liées entre elles car toutes les violences se coupent et se recoupent ; il s’agit d’un continuum des violences.

Notre amie Lily BRUYERE est intervenue dans l’émission QR de la RTBF avec Sacha DAOUT.  Son intervention a été fortement appréciée.

L’inceste sous le regard juridique

Présentation par Astrid BEDORET, Avocate spécialisée dans la défense des victimes de violences sexuelles – Elle a participé à la rédaction du Cahier des revendications présenté par Lucie Goderniaux ainsi qu’aux débats parlementaires sur l’imprescriptibilité des violences sexuelles faites aux enfants et sur la réforme du Code pénal sexuel

Hier, un titre paru dans France Info a retenu mon attention : « Aucun cri ne sort de ma bouche.  J’ai 11 ans, c’est la nuit, j’en suis sûre, tu déchires mon sommeil, j’ai très froid, aucun cri ne sort de ma bouche.  Ma bouche est cousue.  Mon père, ma mère, mes amis, mon école ne voient rien. Tout peut recommencer et tu recommenceras pendant 4 ans.  Je l’ai dit partout, il n’y avait pas de réponse ».  C’est par ces mots que l’actrice Emmanuelle Béart, aujourd’hui âgée de 60 ans, révèle avoir été victime d’inceste dans un documentaire présenté en avant-première à la presse, hier mardi 5 septembre 2023.  « Tu vas de personne en personne en avouant un secret qui te dépasse et ça n’imprime pas. », regrette-t-elle.  Nous devons en parler pour éviter de nouveaux drames, pour aider les enfants à sortir du silence, pour faire cesser le calvaire des victimes. 

Les victimes de l’inceste sont des survivants, des survivantes.  Le mot n’est pas trop fort.  Les violences subies créent un traumatisme grave sur toutes ces victimes qu’il faut aider et accompagner. Parfois, la reconstruction n’est pas possible ou trop difficile.  On ne le dit pas assez mais 1 victime sur 2 tente de se suicider, nous indique le docteur Gérard Lopez, psychiatre et président fondateur de l’Institut de Victimologie à Paris.  Mais que fait la justice ?  L’inceste est un comportement spécifique qu’aucune société ne tolère.  L’inceste est interdit mais cette interdiction est ignorée.  Dorothée Bussy commence son livre « Le berceau des dominations » par dire que « tous les jours, près de chez vous, à Lyon, à Paris, à Toronto, à Mexico, ou à Dallas, un bon père de famille couche avec sa petite fille de 9 ans.  Ou parfois il lui fait juste une petite fellation.  Ou c’est un oncle avec son neveu.  Ou une grande sœur avec sa petite sœur. »  Est-ce permis ? 

L’interdit de l’inceste désigne avec qui une personne a le droit, ou n’a pas le droit, de se marier dans notre société.  Dans notre Code civil belge, on ne peut pas se marier en ligne directe, c’est-à-dire entre parents et enfants, ni en ligne collatérale au 2ème degré, c’est-à-dire entre frères, entre sœurs ou entre frères et sœurs, ni en ligne collatérale au 3ème degré, c’est-à-dire entre l’oncle et sa nièce ou son neveu, entre la tante et sa nièce ou son neveu, ni entre adoptants et adoptés.  Si un enfant naît d’une relation entre un père et une mère qui ne peuvent pas se marier, la paternité de cet enfant ne peut être reconnue sauf si le juge l’accepte, prenant en considération l’intérêt supérieur de l’enfant.  Ce faisant, dans notre Code civil belge, l’interdit de l’inceste s’exprime, sans être nommé, pour des couples qui souhaitent se marier, mais pas pour tous ceux qui ne souhaitent pas se marier ni pour ceux qui décident de cohabiter légalement.  On peut en conclure que l’interdit de l’inceste n’est pas énoncé dans le Code civil.  Même abstention dans le Code pénal ancien qui définissait et punissait les viols et attentats à la pudeur, précisant que si ces infractions étaient commises par un membre de la famille, elles étaient plus sévèrement punies.  Mais pour établir l’existence d’un viol ou d’un attentat à la pudeur, à l’époque des dispositions anciennes du Code pénal, la victime devait établir qu’elle n’y était pas consentante.  L’enfant victime était présumé non consentant -à partir de 14 ans en cas de viol, -à partir de 16 ans en cas d’attentat à la pudeur par un agresseur étranger à la famille, et -à partir de 18 ans en cas d’attentat à la pudeur par un agresseur faisant partie de sa famille.  Dans le Code pénal ancien, les victimes d’inceste étaient considérées comme toute autre victime de violences sexuelles. 

A l’époque déjà et aujourd’hui encore, les victimes d’inceste revendiquent une spécificité car elles ne sont pas comme les autres victimes, elles sont impactées autrement.  On ne le dira jamais assez, l’inceste est une agression spécifique qui survient dans un contexte familial et par un auteur connu de la victime.  L’inceste à l’époque n’était pas une infraction pénale mais juste une circonstance aggravante d’un viol ou d’un attentat à la pudeur. 

Son absence dans le Code pénal ancien et l’inadéquation des articles concernant le viol et l’attentat à la pudeur à la problématique de l’inceste ont fait obstacle à la libération de la parole des victimes et à leur résilience.  Le manque de reconnaissance de ces crimes a permis aux agresseurs d’être moins identifiés ou sanctionnés, ce qui n’a pas permis de les décourager ou de lutter contre d’éventuelles récidives. 

Mes premiers contacts avec l’asbl SOS-Inceste remontent à 2006, au moment où l’association, à l’initiative de Lily Bruyère, crée un groupe de réflexion sur l’inceste avec des professionnels (médecins, policiers, psychologues, avocats) et des survivantes et survivants de l’inceste.  Nous nous réunissons très régulièrement pour trouver des solutions et faire en sorte que ces victimes soient reconnues et se sentent reconnues.  En 2009 commence notre parcours du combattant où nous décidons de faire valoir la nécessité d’inscrire l’inceste dans le Code pénal et la nécessité d’allonger les délais de la prescription pénale.  Nous participons à de multiples entrevues et sommes invités à de nombreuses séances parlementaires où, inlassablement, nous défendons le point de vue des victimes et argumentons sur ces deux préoccupations (inscrire l’inceste dans le Code pénal et allonger les délais de la prescription).  Nous informons et sensibilisons lors d’émissions de radio et de télévision.  Puis nous portons nos réflexions encore plus loin et décidons de soutenir que l’inceste est un crime imprescriptible.  Nous le faisons valoir auprès des politiciens et à nouveau, nous participons à de nombreuses séances parlementaires.   

En 2011, première avancée : la Loi du 30 novembre 2011, entrée en vigueur le 30 janvier 2012, prévoit qu’une victime dispose d’un délai de 15 ans pour dénoncer les agressions sexuelles subies durant l’enfance.  Certes, ce délai débute aux 18 ans de la victime mais comme Lily Bruyère vous l’a expliqué, les personnes agressées durant l’enfance révèlent difficilement ce qu’elles ont subi.  Dans un mécanisme de protection, elles peuvent oublier durant un certain temps et elles craignent de devoir affronter le tsunami familial qu’elles vont déclencher.  Elles ont peur de ne pas être entendues ou crues : personne n’a rien vu, elles ont continué à côtoyer leur agresseur, elles ont des petits copains / copines, elles n’ont pas de blessures apparentes, …  Ce délai est insuffisant.  Une deuxième avancée est obtenue avec la Loi du 14 novembre 2019, entrée en vigueur le 30 décembre 2019, qui prévoit l’imprescriptibilité des infractions commises sur les victimes mineures qui vont alors pouvoir déposer plainte à n’importe quel moment pour des faits de viols, d’attentats à la pudeur, de débauche, de corruption.  Ce fût une très sérieuse avancée que de supprimer le délai de la prescription pour ces victimes.  Cette Loi a fait réagir, et je trouve cela incompréhensible, notamment l’Ordre des Barreaux francophones et germanophones de Belgique et l’Association Syndicale des Magistrats.  L’Ordre des Barreaux francophones et germanophones de Belgique a qualifié cette Loi sur l’imprescriptibilité de « loi émotionnelle ».  Selon l’Ordre de ces Barreaux, seuls les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles.  Pour l’Ordre de ces Barreaux, après un certain temps, les poursuites doivent cesser, dans le but de maintenir la paix et la tranquillité sociale.  Ils ajoutaient que l’imprescriptibilité rend un bien mauvais service aux victimes dans la mesure où l’écoulement du temps et donc la difficulté accrue de l’administration de la preuve multipliera le nombre de non-lieux et d’acquittements.  Ils terminaient leur communiqué du 16 octobre 2019 par : « La Loi ne servira pas à grand-chose » et de confirmer que les Lois qui sont faites pour répondre à des émotions ne sont jamais des bonnes Lois.  L’Association nationale des Magistrats a introduit un recours contre cette Loi sur l’imprescriptibilité, recours qui n’a pas abouti, fort heureusement. 

Première avancée donc, ce délai de 15 ans pour la prescription des agressions sexuelles durant l’enfance des victimes et deuxième avancée, l’imprescriptibilité de celles-ci.  Elles n’étaient pas encore suffisantes.  En 2020, avec SOS-Inceste et l’Université des Femmes, nous participons à un travail d’étude ayant pour objectif d’améliorer la réalité des victimes.  Ce sont des experts et des survivants/survivantes de l’inceste qui ont examiné la problématique sous différents angles : juridique, judiciaire, médical et psycho-social.  Les travaux de ces experts et de ces survivants/survivantes ont abouti à la rédaction d’un rapport, toujours disponible gratuitement sur le site de l’Université des Femmes.  Ce rapport a permis, en juillet 2020, de politiser l’inceste. 

Nous voulions que l’inceste soit nommé et inscrit dans le Code pénal et nous avons été entendus.  Dans le nouveau Code pénal sexuel qui a été adopté le 13 mars 2022, plusieursdes recommandations faites par les experts et les survivants/survivantes de l’inceste ont été intégrées dans la Loi.  Le cahier de recommandations est cité en préambule de la proposition de Loi.  L’inceste est (enfin) défini et spécifiquement réprimé.  Le tabou est brisé.  Dans le nouveau Code pénal, l’inceste est un acte à caractère sexuel commis au préjudice d’un mineur par un parent proche.  L’acte à caractère sexuel peut prendre différentes formes.  Dorénavant, nous avons 4 comportements qui se définissent dans le nouveau Code pénal comme constitutifs d’inceste.  Cela peut être une atteinte à l’intégrité sexuelle, un fait de voyeurisme, la diffusion d’images ou d’enregistrements à caractère sexuel ou un viol.  Pour que l’infraction existe et que l’inceste soit puni, l’acte à caractère sexuel ne doit pas être consenti.  C’est une énorme avancée dans le texte du nouveau Code pénal qui explique clairement ce que signifie « consentir ».  Cette définition du consentement ne ressemble pas aux textes habituels que les juristes font et il faut le souligner car le législateur qui a accepté de mettre ce texte dans le Code pénal a vraiment entendu la parole des survivants et survivantes.  La définition est assez longue mais elle a énormément de sens.

  1. Il est dit dans le nouveau Code pénal que l’absence de consentement est présumée pour l’enfant victime lorsque l’auteur est l’une de ces personnes avec lesquelles il ne peut pas se marier ou toute personne cohabitant habituellement ou occasionnellement avec lui en ayant autorité sur lui.  Ici donc, on accepte que la famille soit une famille autre que la famille biologique, on accepte donc de désigner comme agresseur la personne qui cohabite habituellement ou occasionnellement avec le mineur et qui a autorité sur lui. 
  2. L’absence de consentement est aussi présumée lorsque l’acte est rendu possible en raison d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence sur le mineur par l’auteur.  On ressent le résultat des travaux menés par les membres de l’Eglise pour sanctionner tous les actes de pédophilie, qui avaient mis l’accent sur cette position de confiance que pouvait avoir une personne adulte vis-à-vis d’un enfant. 
  3. L’absence de consentement est également présumée si l’acte est considéré comme un acte de débauche ou de prostitution. 
  4. Enfin, et cela est capital, le consentement est considéré comme valablement donné à l’acte sexuel s’il est donné librement, en fonction des circonstances de l’espèce. Cette définition est large et signifie à quel point on doit se mettre à la place de la victime.  Cette victime qui se trouve à cet endroit, en compagnie de cette personne, a-t-elle donné librement son consentement pour l’acte sexuel ?  Il est bien dit qu’on ne peut déduire d’une simple absence de résistance de la victime que celle-ci est consentante.  C’est énorme dans l’évolution de la notion du consentement alors que jusqu’alors, on était rapidement dans des stéréotypes (« elle ne s’est pas débattue, alors elle était consentante … »).  On fait fi de ces stéréotypes : s’il n’y a pas de résistance de la part de la victime, cela ne veut pas dire qu’il y a consentement.  Le consentement peut être retiré à tout moment : avant et pendant l’acte à caractère sexuel. Il n’y a pas non plus de consentement si l’agresseur a profité de la vulnérabilité de la victime.  Le nouveau Code pénal définit le terme « victime en état de vulnérabilité » : il s’agit d’une victime qui se trouve dans un état de peur, ou qui est sous l’influence d’alcool, de stupéfiants, de substances psychotropes ou de toute autre substance ayant un effet similaire, ou qui se trouve dans une situation de handicap.  En tout état de cause, « il ne peut y avoir de consentement si l’acte à caractère sexuel résulte d’une menace, de violences physique ou psychologique, d’une contrainte, d’une surprise, d’une ruse et de tout autre comportement punissable ».  En tout état de cause, il ne peut y avoir de consentement lorsque la victime est inconsciente ou endormie.  Enfin, de manière extrêmement stricte, lorsqu’on examine le consentement d’un mineur, il est certain, non contestable et établi par avance que le mineur de moins de 16 ans n’a pas la possibilité d’exprimer son consentement.  C’est une présomption, cela veut dire que c’est irréfutable.  Comme déjà dit, un mineur ne peut jamais consentir à un acte sexuel avec une personne avec laquelle il ne peut pas se marier.  

Le sujet de l’inceste à travers la fratrie est un sujet important à évoquer.  Le législateur a considéré qu’entre ses 14 et 16 ans, le mineur peut consentir librement à un acte sexuel mais la différence d’âge avec son partenaire ne doit pas être supérieure à 3 ans.  Si les mineurs entre eux ont 14 ans au moins, il n’y a pas d’infraction pénale. 

Ce n’est pas parce que nos deux objectifs ont été atteints, à savoir l’imprescriptibilité des agressions sexuelles commises durant l’enfance et l’inscription de l’inceste dans le Code pénal, que nous en avons terminé.  Non, pas du tout, nous devons encore travailler sur le consentement car nous sentons bien que la définition large du consentement ne plaît pas à tout le monde.  Nous ne sommes pas à l’abri d’un retour de manivelle, soit par les juges, soit par une Loi réparatrice.  On continue à travailler sur le consentement et aussi sur la crédibilité de la parole de la victime.  En droit pénal, il y a un principe qui existe depuis toujours et qui a toujours été respecté par les magistrats : quand on a un doute sur la culpabilité d’un accusé, le doute lui profite.  Dans un procès, lorsqu’il n’existe pas d’autre élément de preuve que la parole de la victime, si cette parole s’oppose à celle de l’accusé, celle-ci l’emporte car le doute profite à l’accusé.  Cela est très préoccupant dans notre société actuelle qui veut pourtant éradiquer le fléau des violences sexuelles faites aux enfants.

Extrait du film « Derrière la façade » : témoignage d’une victime

Ce témoignage est issu d’un film créé par SOS-Inceste et est disponible sur internet.  Il permet de comprendre ce qui se passe dans la tête de la petite victime.

Présentation par Nouria TAIEB, art-thérapeute à SOS-Inceste / chargée de projets, elle accompagne les  victimes d’inceste, et présente ce qu’elle fait pour venir en aide aux victimes par le biais de l’art-thérapieIl existe 2 dispositifs différents : un dispositif groupal créé il y’a 8 ans et un dispositif d’accompagnement individuel des personnes créé il y’a 2 ans pour les aider avec des outils de relaxation en vue de les renforcer et de gérer leur quotidien.

L’art-thérapie est une approche thérapeutique basée principalement sur le processus de création.  Il ne s’agit pas d’un concept récent car des témoignages de l’utilisation de diverses histoires dans différentes cultures prouvent son utilisation.  Nous utilisons plusieurs méthodes artistiques à but thérapeutique, il s’agit d’un processus permettant aux personnes de s’exprimer autrement que par la parole en utilisant un média artistique : modelage, peinture, collage, danse, …  Il est essentiel d’effectuer une action dans un processus créatif.

L’art-thérapeute est le garant d’un cadre stable sécurisant facilitant l’expression et permettant d’enclencher le processus de transformation psychique du sujet.  Il s’agit d’une voie donnant accès à l’inconscient.  En fait, en travaillant avec une matière, la personne est connectée à elle-même. 

La thérapie joue un rôle significatif en permettant à des victimes d’inceste d’élaborer et de donner un sens à leur traumatisme et de ce fait, de dépasser certaines séquelles traumatiques.

On arrive au phénomène artistique, ce n’est pas comme aller aux Beaux-arts, mais il y’a un processus spécifique.  La théorie des 3 B : bon, bien et beau (réalisation, production).  Dans l’art-thérapie, on n’utilise pas que la matière : le médium peut être le corps quand on travaille avec la danse, le théâtre, …  L’action, l’intention et la production sont liées.  On doit donner l’intention à la personne pour qu’elle réalise une action en vue de créer une production.  Si les participants n’ont pas l’intention, on va utiliser une production à travers laquelle la personne créera une production.  J’utilise le photo langage (illustrations) pour amener les victimes dans un monde imaginaire et quand elles voient l’image, elles voient une projection sur cette image qui les connectent à leur inconscient.  Le travail est inconscient au sein de l’atelier.  On peut faire directement un exercice libre en donnant la matière à la victime.  Le processus créatif est la base de l’art-thérapie en général.

Les séances se déroulent en 5 temps. 

1-Rituels d’entrée : saluer, se présenter, attendre la présentation de chacune, une réflexion sur le contenu de la rencontre, exposer l’organisation, les règles de l’atelier et le contenu de la séance.  Cela permet aux participantes de s’approprier l’atelier.

2-Temps de relaxation : indispensable avant toute action artistique, cela permet de se détendre, de lâcher prise et de se mettre dans un état physique et psychique favorable à l’élaboration du processus artistique de chacun.  L’exercice de relaxation est le chi-qong (respiration et auto massage avec un bâton permettant de se détendre et se reconnecter à soi-même, en vue de se couper du quotidien).

3-Mise en œuvre : je propose aux participants de démarrer l’activité semi-dirigée ou dirigée.  La personne ne doit pas avoir de compétences artistiques mais l’art-thérapeute doit au moins maîtriser une technique pour appliquer ce processus créatif.  L’art-thérapeute doit déjà donner la technique et des consignes car le processus amènera des bienfaits thérapeutiques (confiance et estime de soi, ….) avec des objectifs spécifiques.  Ces ateliers sont des groupes fermés qui travaillent ensemble durant un an.  Je retire des observations du verbal et non-verbal lors de chaque séance.

Par exemple, au modelage, je réalise un photo langage amenant une intention à la personne qui se connectera à son inconscient. 

Quand je constate de la colère, avec le travail de la terre, je propose des techniques apaisantes pour réduire les tensions.  Dès le début de la séance jusqu’à la fin, la musique est toujours présente et chaque temps de la rencontre a une musique différente adaptée aux objectifs de la séance.

4-Temps du bilan : retour au quotidien du vécu de chacune lors de la séance.  Mise en place d’une auto-évaluation de chacune.  En travaillant, on parle beaucoup.  Parfois, je demande un temps de silence car il y’a un effet projection sur le travail de l’autre, un effet miroir et l’art-thérapeute observe les participantes.  Certaines se reconnaissent à travers l’autre.  Jusqu’à présent, cela se passe très bien.  Pour intégrer l’atelier, la condition obligatoire est d’avoir un suivi par un thérapeute, psychologue ou psychiatre. 

Cela permet de rapporter ce qui se passe dans l’atelier et l’art-thérapie est complémentaire au travail de thérapie.  L’art-thérapeute ne fait pas d’appréciation durant le travail et les personnes n’ont pas l’obligation de s’auto-évaluer ni de discuter.

5-Rituel de sortie : nettoyage de l’espace, rangement si nécessaire.

L’art-thérapeute se remplit pas sa fiche d’observation durant la rencontre.  Je mémorise ce qui se passe et pour cela, n’accepte pas plus de 6 personnes par groupe.  Je préfère m’occuper pleinement et mémoriser complètement les observations pour chaque personne avant de compléter les fiches individuelles.  Dès le début, je participe à chaque séance et atténue ainsi le côté d’observation car dans l’inceste, on a une très grande sensibilité suite au regard de l’autre et donc, j’observe et travaille avec les personnes en faisant très attention à ne pas les freiner et donc les empêcher de s’exprimer.  L’aspect esthétique n’est pas important, il faut juste pouvoir exprimer son émotion négative pour la transformer en émotion positive.  On laisse poser le travail durant 2 semaines puis ensuite, on revient dessus pour que la personne « digère » et en discute avec sa thérapeute puis elle reviendra pour transformer son travail ou le laisser tel quel si elle en souhaite.  La présence est primordiale et elles ne sont pas forcées de travailler à nouveau la terre si elles ne le souhaitent pas.

Les bienfaits de l’art-thérapie : permet d’extérioriser les émotions négatives car elle est très sensorielle dans le toucher et elle est malléable (modification de la matière quand on modèle la terre à transformation). 

On utilise beaucoup de medium artistiques.

Au sein de notre association, après 8 ans de travaux, nous avons constaté les bienfaits du processus sur le psychique et le psychologique des participantes.  La transformation apporte un mieux-être.  L’art-thérapie permet la reconsidération, l’estime de soi et la reconstruction.  Le processus créatif permet de mieux se libérer au niveau d’une expérience traumatisante par le récit narratif du souvenir qui est dévoilé par l’imagerie visuelle, et l’inconscient a la capacité de résoudre les conflits et de matérialiser le mal-être hors du corps pour le transformer en un mieux-être indispensable à une réduction des symptômes de stress post-traumatique.  Des participantes disent que la thérapie les apaise et réduit leur stress pendant les séances ce qui les aide à réduire ou arrêter leur médication.  Cette méthode thérapeutique redonne une certaine saveur existentielle, une certaine restauration de l’estime et de l’image, un retour de confiance en soi et les autres, et on remarque un désir et une émergence de se réaliser à nouveau à travers la mise en place de nouveaux projets professionnels.  On observe aussi des effets physiologiques dans la normalité de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle et de la sécrétion de cortisol.  L’art-thérapie permet aussi d’entrer en contact avec l’expérience ressentie dans un environnement sécuritaire, ce qui est particulièrement thérapeutique pour les victimes avec des tendances dissociatives.  Les groupes d’art-thérapie et ses membres nous ont montré que rien n’est figé même face à une problématique aussi sombre, que le travail autour du regard de l’autre portant sur le traumatisme peut permettre de se libérer de ce regard ; ce regard qui emprisonne car il est comme un miroir qui renvoie une image angoissante de ce qu’on est dans la projection de l’autre.

L’art-thérapie apporte un environnement sécurisant et contenant.  Les victimes peuvent être elles-mêmes dans l’instant avec l’autre, avec nous et avec elles. 

Impact des techniques de relaxation lors des ateliers (durée 15 minutes) : relaxation, respiration, se connecter  et se retrouver avec soi.  J’ai créé ce dispositif il y’a 2 ans qui comprend la cohérence cardiaque, le chi-kong avec le bâton, le yoga, la méditation de l’inconscience, la relaxation neuro-hypnotique.  Les bienfaits observés sont : un sommeil amélioré, une réduction du risque cardio-vasculaire et de la dépression, un renfort du système immunitaire, une réduction de la nervosité, une augmentation de la concentration, un encouragement à adopter une alimentation saine et une amélioration des fonctions cérébrales.  En pratiquant la pleine conscience, on obtient un calme mental et une meilleure gestion des émotions.  Pendant la méditation mais aussi dans  la vie quotidienne, une diminution de l’anxiété et du stress et une amélioration de la concentration et de la créativité sont les bénéfices principaux de la pleine conscience.  Ces bienfaits sont utilisés pour soigner les affections liées au stress et au stress post-traumatique.  La relaxation lutte contre le stress et la douleur et change une ou plusieurs mauvaises habitudes.

Visite de l’exposition virtuelle des œuvres créées par les victimes qui suivent une art-thérapie chez SOS-Inceste : https://www.artsteps.com/view/607c4721125fb9a0c57c43e7

Extrait du film « Derrière la façade » : intervention de Jean-Pierre VAN BOXEL,

1er Inspecteur Principal Spécialisé (Jeunesse/Mœurs), officier de Police judiciaire à Schaerbeek

Je reçois Anna.  Il est important que la victime soit à l’aise et s’installe bien avant de discuter et que je lui explique plusieurs choses afin de bien la mettre au courant de la procédure et de la façon dont on va collaborer.  Si elle a la moindre question à poser, elle ne doit pas hésiter à me le dire et s’il y’a le moindre problème, elle ne doit pas hésiter à m’interrompre.  Je dois lui expliquer un certain nombre de lois.  Je me souviens avoir rencontré Anna en mai / juin 2011, elle venait pour déposer un plainte relative à des faits très graves, malheureusement comme souvent, il s’agissait d’abus sexuels.  Son père l’avait abusée et cela est qualifié comme un viol, on ne savait pas exactement l’âge qu’elle avait, mais c’était d’office avec les éléments qu’elle nous donnait, un viol caractérisé.  Alors, elle nous a expliqué tout son vécu.  Cependant, les faits sont prescrits, ce qui fait que le dossier n’a pas abouti et pour nous, en tant qu’enquêteurs, c’est assez frustrant.  L’intérêt, malgré tout, était de savoir s’il y’avait d’autres victimes potentielles.  On en a même retrouvé une et donc investi pour que les faits ne soient pas prescrits.  C’était très important, d’abord pour la reconnaissance d’Anna et cela est également valable pour toutes les autres victimes de faire un signalement auprès des autorités au sujet d’un suspect présumé ce qui permet de savoir s’il reste encore d’autres victimes. 

Cela vaut la peine de le faire et heureusement, avec l’évolution, on est espère que de tels faits ne seront plus prescrits afin d’aller à l’interprétation et l’audition de l’auteur.  Cela est particulièrement important tant pour la protection de la société que pour la reconnaissance d’Anna ici en l’occurrence.  En ce qui concerne les conseils par rapport aux victimes, je pense que le plus important est de faire comprendre à ces victimes qu’elles doivent venir parler à la Police.  Oser venir en parler à la Police car il y’a des gens formés pour les écouter, qu’il s’agisse d’enquêteurs des Services Jeunesse ou qu’il s’agisse d’enquêteurs de la Police judiciaire.  Le plus tôt est le mieux et il ne faut pas se dire que cela ne servirait à rien, au contraire, je crois que c’est très important tant pour la reconnaissance du statut de victime que pour une possible reconstruction de la personne.  De plus, cela peut leur faire éviter les sentiments de culpabilité et de honte.  Les victimes pensent parfois qu’elles vont détruire leur famille en déposant une plainte et qu’elles seront responsables de l’éclatement de cette famille.  Elles veulent continuer à protéger leurs frères et sœurs.  En fait, d’abord, il y’aura une reconstruction de la victime mais parfois, même au-delà, avec un renouveau suite à cette plainte et peut-être même la possibilité de nouvelles relations familiales qui pourront se créer.  Il ne faut surtout pas hésiter à déposer plainte.  Un autre élément à bien faire comprendre est qu’elles doivent essayer de conserver le maximum de preuves possibles dans ce genre de dossier.  Les preuves sont toujours extrêmement difficiles à apporter surtout quand on remonte plusieurs années en arrière.  A l’heure actuelle, il est plus facile parfois de conserver les écrits, courriers et mails, photographies éventuellement et même des enregistrements.  Tout cela peut être utile à l’enquête.  Donc, la logique de la preuve est très importante.  Il faut que la personne sollicite sa mémoire également.

Table ronde + Questions / Réponses avec la salle

Les participantes sont réunies pour répondre aux questions du public. 

Question : Au niveau sensibilisation, que peut-on faire à l’heure actuelle pour prévenir l’inceste ?  Existe-t-il d’autres solutions ou d’autres pistes à part l’EVRAS ?

Actuellement, on doit y travailler mais on voudrait que l’Etat belge aille plus loin et travaille sur un Plan national établi sur plusieurs plans qui visent l’école maternelle, l’école primaire et l’école secondaire, chacun à son niveau.  Au moment de l’affaire Dutroux et consorts, il y’a eu de très bonnes initiatives qui visaient les violences sexuelles à l’extérieur de la famille.  Un petit livre très bien fait avait été édité, il s’agissait de la BD « Qui s’y frotte s’y pique » qui présentait vraiment les différentes situations.  Un autre livre avait été écrit et présentait les différentes situations d’agressions.  Mais avec le Plan national, on pourrait aller plus loin.  A la télévision, des petites pièces seraient organisées par les écoles maternelles à leur niveau sans pour autant développer une psychose permettraient de travailler pour que chaque enfant à chaque âge puisse s’approprier une information dans son langage et son psychisme.  Ainsi, une équipe adaptée pourrait répondre aux questions suite à la présentation de petites saynètes.  Pour les écoles secondaires, des professionnels se rendraient dans les écoles pour effectuer un travail de prévention de l’inceste.  Cela passerait aussi par la politique.  Les hommes politiques nous disaient encore récemment que ce sujet n’était pas intéressant étant donné qu’il ne concerne qu’une petite tranche de la population.  On nous disait qu’il n’y avait pas de chiffres pour la Belgique et à un moment donné, un parti politique avait donc investi et mandaté un chercheur d’une université belge pour effectuer cette recherche de statistiques mais cela n’a jamais abouti.  Cela reste donc une demande que nous souhaitons voir réaliser pour qu’on arrête de penser que cela ne concerne qu’une infime partie de la population.  On a encore des retours très peu positifs car beaucoup pensent que l’inceste ne se passe pas dans le voisinage mais uniquement dans certains milieux.  Il reste encore des stéréotypes …  Il existe des formations spécifiques pour l’inceste mais elles ne sont pas obligatoires.  Certains avocats ont reçu la proposition de suivre un module de formation étalé sur 6 journées et cela est vraiment très enrichissant.

Témoignages :

-Ce genre d’initiatives devrait aboutir à former les enseignants pour qu’ils puissent déceler facilement des faits d’inceste.  Les choses ont bien évolué car à l’époque, lorsque je travaillais dans une école, via l’équipe para-médicale, on pouvait déceler et dénoncer certaines situations, mais cela n’aboutissait jamais à rien mis à part à un changement d’école après les vacances et les Services d’Aide à la Jeunesse, malgré toute une série de preuves très inquiétantes, réagissaient très peu.  Des années après, comment est-il possible que malgré des preuves accablantes, il ne se passe pas grand-chose ?  Les différentes Instances qui travaillent dans le domaine de l’enfance doivent réagir rapidement et ne pas avoir de doutes.

-Voir le téléfilm « La maladroite » d’Eléonore Faucher qui raconte le martyre d’une enfant tabassée à mort par ses parents qui, en public, semblaient être des personnes très convenables d’où le retard dans l’information à la Police et la mort de la petite.

-Parfois, dans les écoles, le Pouvoir Organisateur refuse d’aborder le sujet et certaines associations de défense des enfants sont réticents à en parler.

-Les personnes qui sont « contre » n’en parlent pas parce que chez eux, il se passe peut-être quelque chose dont elles ont connaissance …

Réponse :

Il est impensable qu’un père viole sa fille ou son bébé tous les jours ou presque et que la mère soit parfois complice.  On n’a pas envie de penser à cela et l’entourage préfère ne pas s’en mêler car ce ne sont pas ses affaires.  Peu de personnes sont capables de réagir à cela et d’avoir le courage de dénoncer ces faits. 

Le grand problème lorsque l’on décèle des maltraitances sur des enfants et qu’on cherche des places en foyer est qu’il n’y a parfois pas de place et dès lors, les enfants doivent retourner en famille !

Les institutrices peuvent dénoncer lorsqu’elles sont mises au courant par des enfants mais elles pensent parfois que les enfants inventent ou ont vu cela dans des films et donc, elles renoncent car elles ne sont pas du tout certaines que l’enfant dit la vérité.

Il ne faut pas se décourager et prendre note dans les fichiers de ce que l’enfant a raconté et ensuite, s’il retourne voir  son institutrice, elle se souviendra de ses notes à ce sujet.  Les pédiatres doivent compléter des carnets de santé car au moment où l’enfant s’exprimera à nouveau, ils en auront des traces écrites et pourront alerter.

Dans les hôpitaux, les infirmières devraient également noter dans le carnet de santé si elles ont des suspicions de violences sexuelles.  Idem pour les carnets intimes, impossible de se dire que les enfants sont fous et lorsqu’on lit bien tout, on constate que ces enfants n’ont pas menti.

Question : Au niveau des dénonciations des faits, comment cela se passe-t-il ?

Généralement, les adolescents viennent d’eux-mêmes chez SOS-Inceste car ils ont cherché l’adresse sur internet ou sont orientés par des médecins, psychologues, avocats, policiers, … Les faits sont alors verbalisés clairement et on en discute avec le jeune.  De plus en plus, les choses évoluent même si cela est lent.  La parole se libère et heureusement, certaines figures médiatiques comme Emmanuelle Béart qui se décide à parler à l’âge de 60 ans, par sa notoriété, attire l’attention sur la thématique de l’inceste.  En raison de son activité publique, elle ose parle et rassure le public et incite les victimes à se libérer elles aussi d’un poids important.

Témoignages :

-Vous avez parlé de l’affaire Dutroux.  A l’époque, j’entendais des personnes qui voyaient de l’inceste partout et je n’osais même plus sourire à un enfant de peur d’avoir des problèmes.  On doit faire attention quand même.  Plusieurs de mes collègues ont banalisé les faits à l’époque.

-Etant jeunes, nous n’étions pas informés au sujet de la sexualité et nous n’en parlions pas.  Certaines histoires d’inceste étaient connues mais personne n’en parlait jamais.  Les Lois de protection de la jeunesse existaient déjà mais les mentalités étaient bien différentes.

 -Certaines personnes faisaient culpabiliser l’enfant qui s’était confié pour qu’il renonce à dénoncer le parent incestueux.

-J’ai été victime de ce genre d’attouchements de la part du compagnon de ma mère qui me touchait et m’embrassait sur la bouche alors, j’en ai parlé à ma mère qui n’a pas voulu me croire et pourtant, quel était mon intérêt de raconter ce genre d’histoires à ma mère si cela n’était pas vrai ?  Était-elle complice ?  N’en pouvant plus, je me suis décidée à en parler à la directrice de mon école, mais elle ne m’a pas crue elle non plus mais a quand même appelé ma mère pour lui en parler.  La directrice et une assistante sociale ont rencontré ma mère qui a finalement cru ce que je racontais.  Ensuite, des choses ont été mises en place, je suppose, et les faits ont cessé.

-Certains parents dont les enfants étaient placés en institution sont venus les chercher et au retour, la jeune fille a raconté qu’elle avait subi des faits d’inceste.  Elle était enceinte et a avorté mais à l’époque, on n’en a rien su, et je ne sais pas si le père a été poursuivi en justice ou pas.

-Un jour à la sortie de l’école, j’ai pris le bus avec une amie et ai aperçu une personne qui m’avait fait subir des attouchements.  J’espérais qu’il ne m’aurait pas reconnue mais comme je n’étais pas seule, il ne m’a pas suivie. 

Réponse :

-Il y’a une dizaine d’années, une personne m’a fait savoir qu’une jeune fille un peu handicapée avait raconté au café du coin qu’on lui avait fait des propositions et elle avait répondu : « Non, j’ai assez avec mon père ! ».  On me l’a répété mais comment pouvais-je en parler à cette jeune fille que je connaissais peu ?  Pour finir, j’ai été voir le curé qui s’est engagé à rencontrer cette famille pour demander ce qui se passait chez eux.  Il avait assez d’autorité et il a fait en sorte que la victime aille vivre ailleurs et que cela ne se reproduise plus.  En cas de problème, à l’époque, on allait voir le curé de la paroisse. 

-Quand par son inaction, on permet à l’agresseur de poursuivre ses agissements, on devient complice.  Pour l’absence de dénonciation, on doit rencontrer une assistante sociale qui sera tenue de dénoncer les faits car il s’agit d’une instance autre que la famille. 

Conclusion de la rencontre et remerciements                                                                                               

La rencontre se termina à 17 h 15.

POUR LE CENTRE F/H – VERVIERS :

Pascale et Jeannine.