2017 – Parcours et vieillissement des femmes migrantes en Belgique

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Présentée par:

Pascale Vielvoye, juriste/experte en droits des femmes.

 

La Présidente a remercié les personnes présentes et a tenu à excuser celles qui n’ont pu se joindre à l’assemblée.  Après un discours d’introduction et la présentation de Madame Vielvoye, la parole a été donnée à l’animatrice.

 

En introduction, celle-ci a amené le public à avoir une réflexion plus poussée sur les questions suivantes :

 

  • le droit des étrangers est-il aussi le droit des étrangères ?
  • les politiques migratoires prennent-elles en compte l’aspect « genre » ?
  • mariage et droit de séjour, violences de genre, traite des femmes, accès à la santé, … : que font ces femmes migrantes lorsque leur mariage tourne mal ? Ont-elles une échappatoire ?
  • sont-elles toutes bien intégrées et sinon, est-ce envisageable ?
  • quelles sont les politiques sociales mises en place pour les femmes immigrées âgées ?

 

Ces questions sont particulièrement interpellantes et nous avons tous pris conscience du fait qu’assez peu d’actions sont mises en place pour venir en aide aux femmes migrantes qui vieillissent.  Elles subissent de nombreuses discriminations à tous les niveaux et plus elles prennent de l’âge, plus elles rencontrent des difficultés diverses (logement, isolement, solitude, impossibilité de finir leurs jours dans leur pays d’origine, maladie, mauvaise connaissance du français, d’où une intégration qui n’est pas optimale).

 

Les causes de la migration des femmes sont multiples.  Effectivement, il  peut aussi bien s’agir de femmes victimes de traite des êtres humains  (prostitution, esclavage domestique…) que de femmes mises à l’épreuve du regroupement familial.

 

Une fois arrivées en Belgique, elles y vivent assez difficilement car l’accès aux outils

d’émancipation leur est, pour une majorité, réellement impossible vu leur importante

méconnaissance du français qui est un frein pour l’apprentissage de la langue du pays

d’accueil.  Elles sont de ce fait totalement dépourvues tant au point de vue de l’éducation, de

la formation, des cours de FLE que de l’accès à un emploi.

 

Dans les années 50 et 60, il y eut un recrutement massif de migrants en Grèce, en Yougoslavie puis au Maroc, en Turquie, en Tunisie, en Algérie, …

 

– Politique économique: => recrutement à l’étranger

– Politique démographique: => regroupement familial => natalité (allocations familiales, logements adaptés, soins de santé…)

Il faut noter que le premier motif de migration des femmes est le regroupement familial.

Jusqu’au milieu des années 80, l’immigration  était une donnée économique et / ou démographique et il n’y avait pas de politiques d’intégration puis il y eut par la suite une réforme du regroupement familial.

 

Pour une famille réduite, il n’est plus possible de « regrouper » ses ascendants afin qu’ils s’installent sur le territoire belge.  Il faut faire preuve de revenus stables, suffisants et réguliers, remplir les conditions d’âge et obtenir un allongement de la période de vérification (et donc de la possibilité de retrait du séjour par la même occasion).

 

En 2013, un nouveau Code de la Nationalité belge a vu le jour.  Il imposait un séjour préalable de 5 ans minimum en Belgique, une connaissance d’une des 3 langues nationales, une condition d’intégration sociale et une participation économique indispensable.

 

En 2014, un nouveau Décret wallon permettant d’organiser le parcours d’accueil des primo-arrivants a été instauré.  Il consiste en un dispositif d’accueil avec une obligation de suivre un parcours d’intégration incluant un bilan social, le suivi régulier de cours de FLE et de citoyenneté.

 

En 2016, la volonté d’intégration dans la loi de 1980 est à prouver sous peine de retrait du droit de séjour !

 

Les femmes migrantes subissent de multiples discriminations qui sont liées au genre, fondées sur leur origine nationale, ethnique ou liées à la couleur de leur peau.  D’autres discriminations sont, elles, liées aux convictions religieuses.  A celles-ci viennent encore s’ajouter le plus souvent les discriminations directes ou indirectes liées à l’état de fortune, la langue, l’origine sociale, …

 

Comment peuvent-elles faire preuve de leur volonté d’intégration ?

Elles doivent absolument suivre le « Parcours d’intégration en Région wallonne » et montrer leur bonne volonté de s’intégrer au pays d’accueil afin de pouvoir conserver leur droit de séjour et espérer obtenir ensuite la nationalité belge.

 

Par contre, si leur mariage tourne mal, on constate qu’il y a toujours de graves conséquences pour les femmes migrantes.  En effet, la période de vérification de leur demande est allongée et cela peut entrainer un retrait du titre de séjour.  Il faut qu’elles puissent prouver 5 ans de présence en Belgique (dont 3 ans de vie commune) !  Les femmes migrantes doivent faire preuve de leur volonté d’intégration mais aussi avoir les moyens de prouver les violences subies et l’origine de la séparation pour ne pas devenir une « charge » pour l’état belge.  Elles seront tenues de travailler également.

Les femmes migrantes qui sont victimes de violences de la part de leur conjoint sont confrontées à un choix terrible : soit subir de mauvais traitements infligés par leur partenaire, soit signaler la violence et risquer l’expulsion. La Belgique doit faire en sorte que chaque femme qui est victime de violence intrafamiliale puisse obtenir l’aide dont elle a besoin, quel que soit son statut de migrante.  Le risque d’expulsion empêche de nombreuses femmes migrantes victimes de violence intrafamiliale en Belgique d’obtenir la protection dont elles ont besoin, a déclaré  « Human Rights Watch » dans un rapport.

 

Ce même rapport a décelé trois grandes lacunes dans la protection des femmes migrantes victimes de violence intrafamiliale dans ce pays. Les femmes qui migrent vers la Belgique pour rejoindre un mari ou un partenaire peuvent être menacées d’expulsion si elles dénoncent la violence pendant la période où leur statut est en cours de validation. Les femmes migrantes sans-papiers font face à la même menace. Enfin, les victimes de violence intrafamiliale, en particulier les femmes sans-papiers, n’ont pas suffisamment accès à des refuges.

Bref : c’est un véritable parcours du combattant pour ces femmes déjà victimes des actes de violence de leur mari.  Elles sont touchées par une double « peine » et cela implique pour elles un risque évident de la perte du titre du séjour et du renvoi dans leur pays d’origine.  Celles-ci basculent alors vers le statut de « sans-papiers » avec toutes les conséquences désastreuses que cela implique …

 

A partir des années 90, on constate que les demandes d’asile de femmes sont de plus en plus nombreuses et on prend en compte la notion de genre comme « appartenance à un groupe social ».  On instaure de nouveaux motifs d’asile: MGF, traite, mariages forcés, orientation sexuelle, viols, crimes d’honneur, …

 

Les migrations féminines pour raisons économiques se sont intensifiées toujours davantage car les entreprises ont un besoin de main d’œuvre important dans les métiers de services et de « care ».  Cependant, les femmes migrantes vivent toujours dans une situation précaire, ont des difficultés de RGF pour revenus insuffisants, familles monoparentales….

 

Et après, une fois ces femmes migrantes devenues plus âgées, la situation se complique encore pour elles.

 

Qu’en est-il du métier exercé, de la vie familiale, de l’état de santé ?

Ces femmes sont passées du rêve à la réalité.  Elles sont installées depuis longtemps dans une grande précarité et s’en accommodent tant bien que mal.  Souvent, elles vivent dans un isolement important sans famille ni amis.  Beaucoup d’entre elles sont malades et la plupart se retrouvent totalement désœuvrées sans le moindre espoir d’un retour dans leur pays d’origine pour finir leurs jours …

Cependant, dans les familles maghrébines, c’est tout le contraire car il existe dans cette communauté musulmane une véritable solidarité familiale et des croyances qui font que ces personnes refusent les maisons de repos et préfèrent garder dans la famille les personnes plus âgées, ce qui est préférable lorsqu’on a vécu complètement déraciné de sa culture et de son pays d’origine.  L’intégration en Belgique n’a pas été facile et ces personnes ont subi énormément de racisme et de discriminations multiples.

 

En conclusion, les femmes migrantes ont subi toute leur vie la double « peine ».

 

« Aborder la question du genre et de l’ethnie, c’est aussi parler de la migration, qu’elle remonte aux ascendants, ou qu’elle concerne la personne même, confrontée à une situation que les associations de défense des migrantes qualifient volontiers de «double peine», c’est-à-dire de double discrimination.  Elle est une femme, elle est une étrangère venue d’un pays dit «du Sud». Elle est traitée comme une femme – non pas que les hommes immigrés dans les sociétés riches jouissent de notables privilèges mais, tout de même, ils sont des hommes et y trouvent une certaine assurance puisque l’identité masculine reste dominante en Occident -, elle est traitée comme une étrangère et l’on a besoin d’elle pour les métiers invisibles mais indispensables que les ressortissant(e)s des pays riches ne veulent plus faire : trop durs, trop contraignants. A supposer qu’elle soit «régulière», elle travaille dans des professions où l’on revendique moins, où l’organisation collective des salariés reste embryonnaire.  Dans bien des cas, elle ne travaille pas, donc n’existe pas comme individu autonome, elle est «la femme de…». Et si l’époux «la» divorce, elle n’a plus de papiers, elle disparaît dans l’ombre dont elle n’était pas vraiment sortie…  Partout, et pas seulement en Europe ou en Amérique du nord, la femme migrante est plus vulnérable à l’exploitation, aux discriminations, au déni de droits. Sa condition dans les pays du Golfe en est un flagrant exemple.  Mais restons ici puisque nous y sommes : invisibles oui et, en même temps, tout le monde sait bien que les sociétés ne peuvent plus se passer d’elles. On les voit dans les rues des grandes villes tirant les poussettes, promenant les vieux, sortant tard des bureaux dont elles font le ménage. Dans les zones agricoles, elles font la cueillette des fruits et des légumes. Elles sont dures à la tâche. Elles sont sages, elles ont l’habitude d’être dominées. On les apprécie…  On trouve les plus fortes concentrations de travailleuses dans les métiers les moins valorisants ou situés aux niveaux inférieurs des hiérarchies professionnelles. Déclarées ou «clandestines», elles sont majoritaires dans les secteurs les plus précaires comme le travail domestique ou les activités du secteur informel, ce qui les rend particulièrement exposées aux abus.  Les statistiques disponibles dans plusieurs pays occidentaux montrent qu’il y a chez les femmes immigrées deux fois plus de veuves, de divorcées, de séparées que chez les hommes immigrés. La pauvreté les frappe également davantage. Les foyers monoparentaux dirigés par des femmes sont les plus pauvres. Cette précarité se retrouve dans tous les pays d’immigration.

La migration féminine de travail a beaucoup augmenté du fait d’une demande croissante en employées de maison. En Europe, le vieillissement de la population exige de plus en plus de main d’oeuvre dans le secteur de la garde et des soins à domicile, et dans le secteur paramédical. Mais, au-delà de ce vieillissement, c’est l’ensemble des classes moyennes et supérieures qui ont besoin de ces employées. On est ici devant un paradoxe : la migration massive de femmes domestiques permet aux femmes des pays d’accueil de s’affranchir de leurs propres tâches dans la sphère privée pour travailler à l’extérieur. Leur libération par un travail salarié valorisant passe donc par l’exploitation d’autres catégories de femmes, celles qui viennent des mondes dominés.

Les femmes dominées des mondes dominés sont, en quelque sorte, un facteur d’ascension sociale et professionnelle pour celles des pays riches, comme par un effet de dominos…  Femmes, étrangères ou de «deuxième génération» puisque l’extranéité est héréditaire. Ne soyons pas misérabilistes cependant : elles «arrivent» plus souvent qu’on ne le croit, en se battant deux fois plus que leurs hommes, que leurs frères. Et beaucoup de ceux-là, pour compenser leurs frustrations, les assignent à leur double condition : femmes, étrangères ou filles de.  Souvent, elles se révoltent. Elles ont changé le paysage de la migration. Changeront-elles un jour l’image que l’on a des immigrés ? »

 

* Sophie BESSIS, Ecarts d’identité N° 116 (juin 2010) : « Egalité homme-femme : les voies de l’insertion. » 

 

Quelques chiffres :

 

Taux de chômage par nationalité et sexe en Belgique et en Wallonie :
 Belgique  Belgique H  Wallonie F  Wallonie
Belges 7,3 12,7 11,5 19,7
Étrangers (taux moyen) 17,2 29,2 18,2 34,3
Allemagne 6,9 13,9 7,7 14,6
Espagne 11,9 20,4 13,1 26,8
États-Unis 8 20 6,8 22,2
France 12,6 24,1 14,1 28,6
Grèce 17,5 24,9 21,1 34,7
Italie 15,2 31,7 16,2 35,5
Maroc 36,2 56,6 45,1 64,4
Pays-Bas 4,4 11,3 6,7 16,4
Pologne 17,7 41,4 22,1 44,8
Portugal 11,3 23,2 10 25,3
RDC 44,2 56,1 48,3 65,3
Royaume-Uni 6,8 12,6 7,5 17,2
Turquie 33,8 56,3 44,9 74,7