2016 – L’immigration italienne

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Intervenants :

Monsieur Claude DESAMA, Docteur et Professeur en Philosophie et Lettre à l’Ulg / Historien

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La Présidente a remercié Monsieur Desama et le public pour leur présence et a entamé son discours pour introduire cette rencontre.  Une trentaine de personnes étaient présentes.

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Monsieur Desama expliqua que lorsqu’on parle d’immigration italienne, on se focalise toujours sur le Protocole du 20 juin 1946 comme si cette immigration avait commencé à ce moment-là alors qu’elle a débuté bien plus tôt.  Ce Protocole a été un élément tout à fait nouveau dans l’histoire de l’immigration en Belgique.  On a dit que c’était de la main-d’œuvre contre du charbon mais c’est plus compliqué que cela.  De cette façon, on a ouvert une voie qu’on a relancée en 1964 lorsque la Belgique a signé des accords avec le Maroc et la Turquie pour faire venir des travailleurs étrangers.  L’immigration italienne reste un événement important car il est rare d’avoir vu tant de personnes venir en si peu de temps pour travailler en Belgique et faire souche à Verviers comme dans d’autres régions.  Il s’agit de la première communauté étrangère en Belgique.

Les premières traces d’immigration italienne remontent à la fin du 19ème siècle lors de l’installation de migrants du Piémont, de la Lombardie qui venaient pour l’essentiel dans la région verviétoise et Liégeoise.  La misère régnait en Italie et la répression politique les a dirigés vers la Belgique qui a toujours eu la réputation d’être une terre d’accueil.  Fin du 19ème siècle, les Italiens étaient employés dans des petits boulots (garçons de café, ouvriers de voirie, ardoisiers, métallos, …) qui n’intéressaient pas les Belges.  A l’aube de la guerre 1914 / 1918, on ne dénombrait pas moins de 4 500 migrants dans le pays.

La guerre se passa et au moment de l’entre-deux guerres, une deuxième vague plus importante est arrivée.  D’une part, les personnes fuyant le régime de Mussolini (des ouvriers) sont venus pour des raisons politiques et d’autre part, il y avait des mineurs car on a ouvert et développé les mines du Limbourg et de nombreux Italiens sont venus pour y travailler.  Dans la région de Genk, il persistait toujours une forte population italienne issue du nord de l’Italie, du Piémont et de la Lombardie.  Le mouvement migratoire était important à cette période et en 1938, on comptait 30 000 migrants italiens dans notre pays.  On voyait à l’œuvre des luttes entre les pro-fascistes et les anti-fascistes.  Les grands groupes italiens étaient représentés.  Les familles Vastapan et Domenico Ruffo di Calabria, (famille de l’ancienne Reine Paola) étaient bien installées en Belgique.  Elles ne cachaient pas leur sympathie pour le régime mussolinien.  Cette période de la guerre fut difficile pour les Italiens car la police belge n’était pas neutre dans ce conflit et la Police et la Sureté de l’état chassaient davantage les militants communistes que les fascistes.  Les deux camps ont eu des comportements tout à fait différents.  Les Italiens fascistes ont fait de la collaboration avec l’occupant pendant toute la seconde guerre mondiale tandis que les communistes sont entrés dans les camps et y sont morts.

L’organisation de la résistance en région liégeoise était particulièrement active et dirigée par un Italien du nom de Matteoli qui fut arrêté par la Gestapo.  Il a joué un rôle non négligeable dans la résistance dans nos régions.  Les Italiens se sont battus dans la résistance et espéraient être reconnus.  Cela ne s’est pas passé comme ils l’espéraient car on était déjà au lendemain de la guerre et dans une situation qui n’était plus nécessairement un régime fasciste mais le régime soviétique et communiste survenait.  Ces résistants ont constaté avec déplaisir que certains Italiens avec un passé fasciste ainsi que le personnel de l’ambassade italienne et qu’ils occupaient le devant de la scène.  Il existait donc un trouble au niveau des Italiens progressistes.

Entre eux, ils ont créé le comité de la libération qui devint par la suite le comité libéral collaborant avec le soutien des organisations syndicales pour une réorganisation entre l’Italie et la Belgique.  C’est dans ce type de négociations avec le Cabinet du Ministre Achille Vanacker, qui était le Premier Ministre et Ministre du Charbon, qu’ensemble, ils ont pu discuter de la situation des Italiens qui se trouvaient dans une misère noire en Italie.  Le redressement des économies occidentales était lié directement au charbon.  La Belgique produisait du charbon mais connaissait une situation difficile.  La production du charbon était tombée de 50 % et il fallait remettre en place l’outil de production et la main-d’œuvre par la recherche de mineurs.  L’Italie a obtenu un droit de tirage sur la production du charbon belge au cas où elle en aurait besoin car le charbon belge était cher et l’Italie s’approvisionnait alors dans d’autres pays.  Elle souhaitait un tirage automatique en Belgique à raison de 200 kg de charbon par jour et par homme.  En contrepartie, l’Italie s’engageait à envoyer 2 000 travailleurs dans les mines belges.

Après de longues négociations en septembre 1945, on signa finalement le 20 juin 1946 le Protocole d’accord Italo-Belge. Ce Protocole a rappelé l’accord du charbon de 1945 pour 2 000 ouvriers par semaine.  Les mineurs devaient avoir moins de 35 ans et se présenter à une gare de départ.  Une visite médicale et un contrôle de la Sureté de l’Etat belge étaient obligatoires ainsi que la signature d’un contrat de12 mois pour lequel leur visa était valable.  Chaque contrat pouvait être renouvelé et prolongé.  Ces travailleurs avaient des droits et des garanties selon le Protocole : le droit à un logement convenable (ce qu’ils n’ont pas reçu), une nourriture conforme autant que possible à leurs habitudes alimentaires dans le cadre du rationnement belge, des conditions de travail, des avantages sociaux et des salaires établis sur les mêmes bases que ceux des travailleurs belges (cela n’a jamais été appliqué), au paiement des allocations familiales pour les enfants résidant en Italie (cela leur a été accordé).

Les droits et devoirs des patrons charbonniers étaient nombreux.  Les droits étaient bien supérieurs aux devoirs.  Ils devaient essentiellement suivre le devoir moral de respecter les engagements et de payer un interprète pour chaque train complet allant d’Italie à Namur ainsi que de nommer un homme de confiance dans les cinq bassins miniers pour la surveillance des travailleurs.

Comment les choses se sont-elles passées dans les faits ?  D’abord, les travailleurs étaient recrutés et soigneusement sélectionnés dans le nord de l’Italie (Piémont, …) car c’était une exigence de la Belgique d’avoir des Italiens du nord.  Les recruteurs allaient dans les bourses du travail pour un recrutement direct.

Une fois engagés, ces pauvres gens étaient entreposés dans les caves de la grande gare de Milan et ensuite, ils montaient dans les trains (un par semaine) réservés à cette population et fermés de l’extérieur.  Ils ne pouvaient donc pas en sortir.  Les conditions d’hygiène et de promiscuité étaient telles qu’en 1954, le chemin de fer suisse a interdit le passage du train venant de Milan car on avait constaté lors de l’arrêt en gare les conditions inhumaines subies par ces migrants.  Ce voyage durait 52 heures !

Quand ils arrivaient en Belgique, les Italiens ne descendaient évidemment pas dans les gares de voyageurs mais étaient redirigés vers les gares de marchandises où personne ne pouvait les voir.  Ils étaient regroupés en puits et chaque puits avait son quota de travailleurs.

Les charbonniers envoyaient les camions qui les chargeaient vers les mines.  Les logements n’étaient pas du tout convenables, loin de là !  En réalité, la Belgique n’avait pas de logements à proposer car elle connaissait à cette époque une importante crise du logement.  Tout ce qu’on avait trouvé, c’était des baraquements utilisés pendant la guerre pour les prisonniers russes qui travaillaient dans les mines pour extraire le charbon puis des prisonniers de guerre allemands, des déserteurs et autres personnes déplacées.   Il n’y avait aucun confort.  Juste des paillasses jetées sur des lits superposés en bois …

Vers 1948, les conditions de logement se sont un peu améliorées mais sont restées néanmoins très précaires.  Ces jeunes hommes n’étaient pas pour la plupart des travailleurs d’usines car ils venaient du monde agricole.  On les emmenait dans ces baraquements puis sur le lieu de travail pour en faire des mineurs de fond.  Ces gens ont donc passé leur vie dans les champs puis se sont retrouvés au fond d’une mine pour travailler des heures et des heures, sans soleil, ni air et dans des conditions extrêmement malsaines.  Un certain nombre d’entre eux se sont suicidés.  Ce phénomène avait une ampleur importante car de 1946 à 1948, 62 000 migrants (3/4 d’hommes pour ¼ de femmes) sont arrivés et ont été fort mal accueillis chez nous.  Dans les cafés, on interdisait l’accès aux chiens et aux Italiens.  La xénophobie se portait déjà fort bien à l’époque.

En 1947, un recensement dénombrait 114 000 mineurs dont 28 000 Italiens.  En 1956, ils étaient     107 000 dans le fond de la mine dont 42 000 Italiens.  Ceux qui arrivaient travaillaient dans la mine dans les conditions les plus difficiles.

Les accidents de mine étaient fréquents, comme l’accident du Bois du Cazier, le 8 août 1956, qui signa un tournant dans l’histoire de l’immigration italienne.  Il faut savoir que malheureusement, cet accident, a fait payer un lourd tribut à la mine.  Entre 1946 et 1956, y compris l’accident de Marcinelle, 1 000 Italiens ont laissé leur vie dans des accidents de la mine.  Marcinelle est un peu presque dans la moyenne.  Il y a eu 232 morts dont 162 Italiens.  Cela a marqué fortement la région.  Marcinelle marque à ce point un tournant car les relations entre l’Italie et la Belgique s’étaient fortement dégradées avant l’accident du Bois du Cazier.  En effet, les familles de mineurs italiens avaient envoyé des courriers au gouvernement italien pour se plaindre de la manière dont les mineurs étaient traités en Belgique.  Cela avait fortement interpellé le gouvernement et dégradé des relations déjà difficiles.  En 1948, ils ont exigé une modification du Protocole et la création d’une commission mixte chargée de veiller aux problèmes d’encadrement, de logement et de vie des travailleurs italiens ainsi que la sécurité dans les mines.

Si les mines ont créé de tels ravages, c’est parce que les charbonniers accordaient assez peu de moyens aux mineurs.  Les Belges traînaient les pieds pour remplir leurs obligations pour la sécurité des mineurs.  L’accident du Bois du Cazier a été la première catastrophe minière qui a bénéficié d’une couverture médiatique extrêmement importante.  Jusqu’alors, c’était connu mais cette situation restait dans l’indifférence générale.  La télévision a diffusé des images en direct du Bois du Cazier et la presse a amplifié considérablement cet événement dramatique quant à la condition des travailleurs italiens.  Le gouvernement italien a donc dénoncé le Protocole et cessé l’immigration italienne.

En 1952, l’Italie n’avait plus besoin du charbon belge.  En effet, le Traité de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (le CECA) avait résolu le problème du charbon et par conséquent, ce n’était plus nécessaire et l’Italie en a profité pour mettre fin au Protocole car cet accord était de moins en moins accepté par l’opinion publique italienne.

Cependant, l’immigration italienne n’a pas cessé à ce moment-là, bien au contraire.  Elle n’a fait que s’amplifier.  Elle est différente car elle n’est plus officielle ni encadrée et n’a pas pour but d’aller travailler dans la mine.  C’est une immigration volontaire, familiale et économique plus diversifiée ; ces gens travaillent dans d’autres secteurs économiques en Belgique.  La métallurgie, la sidérurgie et le textile cherchaient des ouvriers en cette période de plein emploi.  Le Service public se développait de plus en plus.  Les boulots que les Belges n’aiment pas faire (relever les déchets, nettoyer les rues, …) permettent d’offrir des emplois aux Italiens qui viennent de toutes les régions d’Italie.  Cette immigration provient essentiellement du sud de la Botte de l’Italie (Calabre, Sicile, …).  Cette immigration est considérable : 30 000 migrants en 1949 et 300 000 en1970 sur une population de     10 000 000 d’habitants.  Ils représentaient la moitié des étrangers installés en Belgique.

Il faut distinguer la phase dédiée au charbon et la phase de poursuite de l’immigration italienne.  Dans la première vague, des familles s’étaient installées en Belgique et une deuxième vague s’est installée par la suite et a créé des ramifications.  En 1980, une troisième vague a apporté des Italiens qui ont travaillé à la Communauté européenne ainsi que dans les institutions et entreprises installées avec le développement du marché commun et du grand marché par la suite.

On peut s’interroger sur les relations entre les Italiens et les Belges.  Une grande enquête avait été menée à la fin du 20ème siècle, en 1980 et en 2008 pour connaître les relations entre eux et le profil des Italiens.  Aussi bien en 1980 qu’en 2008, on note de la part des Belges le maintien des mêmes stéréotypes qu’au début de l’immigration italienne comme, par exemple : la fainéantise, le profit, la manipulation et le goût immodéré pour les femmes des autres.  On pensait que ces stéréotypes n’existaient plus mais c’est faux.

Au-delà de l’opinion publique, les partis politiques étaient très divisés sur l’Accord charbon et à l’arrivée des travailleurs italiens, il y avait une certaine division qui s’est estompée au fil du temps et cela n’a plus posé de problèmes.  Au niveau de l’église catholique, l’opinion a beaucoup varié.  Lors des grandes migrations, l’Eglise a joué un rôle important pour l’accueil et l’encadrement même si son attitude a varié selon les périodes.  Une série de locaux et d’associations (« Casa Nostra » notamment) servaient de points d’accueil et de socialisation des migrants italiens.

Les syndicats ont eu une attitude paradoxale car ils étaient opposés à la venue de main-d’œuvre étrangère dans les mines belges.  Etant donné l’obligation d’y avoir recours, les syndicats ont finalement collaboré pour faire en sorte de faire passer les choses de manière plus simple.  Ils ne se sont jamais battus pour que les immigrés italiens aient les mêmes droits que les Belges car la base syndicale était opposée à cela.  C’est arrivé par la suite au fil du temps mais après de nombreuses difficultés.

Les Italiens se sont assimilés en Belgique d’une manière personnelle et ont gardé une ethnicité symbolique.  Cela signifie qu’ils souhaitaient garder la volonté absolue d’être propriétaires de leur maison (encore + important que pour les Belges) pour un meilleur enracinement dans le pays.  En 2008, le code d’honneur des mariages était toujours existant avec le rituel de beaucoup de familles italiennes.  Le rôle de la femme reste une vision traditionnaliste par rapport à la vision générale belge.  C’est moins évident en 2008 qu’en 1980 mais cela reste un élément distinctif.  Le sens de la famille est toujours très important.  C’est aussi un soutien important aux chanteurs et au peuple italien (football) qui prouve une affectivité vis-à-vis de ce qui est italien.  Les Italiens regardent volontiers la RAI.  Les habitudes culinaires ont été conservées et transmises à la Belgique qui en a été influencée dans certains domaines.  Pendant longtemps, les comportements politiques étaient plutôt portés vers les partis extrêmes.

Les Italiens sont intégrés dans leur classe sociale (principalement la classe ouvrière).  On les retrouve dans toutes les couches de la société et dans tous les secteurs économiques.  Ils ne sont pas victimes de discriminations comme d’autres migrants.

Dans les régions du Limbourg, le borinage, la région verviétoise et liégeoise, le chômage les touche davantage que les Belges.  Le cas des Italiens est intéressant à étudier en matière de discriminations.

Jusqu’en 1980, ils votaient en faveur du Parti communiste italien.  Depuis lors, ils votent essentiellement à gauche mais de façon beaucoup moins nette et leur comportement a été étudié.  Au niveau des élections européennes, peu d’entre eux s’inscrivent sur les listes électorales.  Leur mobilisation est assez légère sauf dans les élections locales avec des candidats italiens bien placés.  Dans certaines communes (Ans, Grâce-Hollogne), il y a beaucoup d’Italiens élus.

Après 1980, l’immigration italienne se retrouve implantée principalement à Bruxelles.  Il s’agit d’une majorité d’Italiens du sud et 40 % de Siciliens.  Actuellement, il reste 52 % d’Italiens nés en Italie en région liégeoise et dans le borinage.  44 % d’entre eux sont en Belgique.

En conclusion, on peut dire qu’il faut déconstruire le mythe de l’intégration parfaitement réussie.

Les Italiens sont intégrés mais il reste encore du chemin à parcourir.  Leur intégration en Belgique s’est accélérée à l’arrivée d’autres courants migratoires.  Au départ, ils étaient considérés comme les étrangers puis en 1972, d’autres migrants ont repris « l’étiquette » peu valorisante d’étrangers.  En conséquence, cela a favorisé l’intégration italienne.  Malgré le nombre importante d’Italiens en Belgique (à Verviers : les non-Belges ce sont les Italiens, puis les Français et ensuite les Marocains et Turcs), on constate qu’il s’agit d’une communauté très importante mais peu puissante.  Elle ne pèse pas dans la vie politique ou sociale à l’opposé de la communauté juive qui, elle, pèse très lourd dans la vie politique belge.  Aucun lobbying italien n’est présent chez nous.

La mentalité belge conserve des stéréotypes à l’égard des Italiens et cela ne correspondent pas à une réalité mais cela reste difficile de les éliminer avec le temps.  On arrive actuellement à la 4ème génération dont la majorité est Belge, née en Belgique, sans racines en Italie et pourtant, ces gens continuent de s’identifier à des régions italiennes et à des célébrités italiennes.

Cette immigration est surtout connue par la signature du Traité « Charbon / Main d’œuvre ».

Une séance de questions / réponses a clôturé la rencontre.