2020 – Image d’une époque: la condition ouvrière dans l’industrie textile verviétoise / Le travail des femmes

Présentation de Martin Goblet


Verviers, un rapide aperçu du passé, quelques jalons historiques…


Je vous invite aujourd’hui à un petit voyage … à Verviers, au XIXème siècle, au temps de l’industrie de la laine, industrie qui a fait de notre ville, à l’époque, l’une des plus riches de Belgique, internationalement renommée.

Mais toute médaille a son revers. Au temps même de sa splendeur, quand les usines tournaient à plein régime, que nos produits étaient exportés partout dans le monde, que des dynasties de patrons lainiers, amassaient des fortunes, il faut rappeler que toute cette richesse était produite par des ouvriers et des ouvrières qui travaillaient souvent dans des conditions que l’on jugerait aujourd’hui inhumaines ou infrahumaines. Je me propose de vous en montrer quelques aspects : image d’une époque, avec 60 images d’époque.


Avant 1468, Verviers n’était qu’une modeste bourgade rurale, les habitations étaient faites de bois et de torchis et étaient recouvertes de chaume, on vivait de l’élevage et de l’agriculture.
Ce n’est qu’au XVIème siècle que les maisons de pierre commencent à remplacer les constructions en bois.
Au XVIIème siècle, apparurent les fouleries puis l’industrie métallurgique disparut. Certaines rues de Verviers et de lieux-dits des environs gardent le nom du travail du fer, ainsi le Maka à Theux, ou la rue du Marteau à Verviers.
A l’aube du XVIIIème siècle, Verviers compte 13 897 habitants.
En 1795, elle devient française.
En 1815, elle fait partie des Pays-Bas.
En 1830, elle est belge.


La Vesdre (du germanique Weser, « couler ») contribua à faire de notre ville un grand centre industriel.
Jusqu’au XVème siècle, Verviers n’eut aucune notoriété industrielle. Les habitants élevaient des moutons, vendaient de la laine aux drapiers de Liège et d’Aix.


Cette gravure montre l’entrée de la Vesdre à Verviers. Les anciens Verviétois connaissaient déjà les qualités des eaux issues des vastes tourbières des Fagnes, une eau pure, naturellement douce et savonneuse, presque sans calcaire, idéale pour le lavage des laines.


Puis ce fut l’apparition de ce que l’on a appelé la révolution industrielle grâce aux machines à vapeur.
Dès le début du XIXème siècle (1816 – 1829), l’industrie lainière voit arriver les premières machines à vapeur.
Venant d’Angleterre, William Cockerill débarque à Verviers. Il fut tout de suite sollicité par les Simonis et Biolley,
fabricants de draps. Les familles financèrent la construction d’un moulin destiné à la filature, le premier moulin mécanique appliqué à la laine sur le continent.


Le secteur textile fit naître d’autres industries, ainsi les moulins à couleur, qui préparaient les teintures, les fabriques de cuir, pour les courroies des machines, des corderies, des fabriques de chaussures, …


En 1878, grâce au bourgmestre Ortmans, Verviers fut la première ville de Belgique à bénéficier de l’eau courante, Ortmans fut le promoteur du barrage de la Gileppe, il sauva l’industrie verviétoise de la ruine.
En 1880, la Belgique, qui compte 5.5 millions d’habitants est la deuxième puissance industrielle après la Grande Bretagne et fait figure d’avant-garde dans bien des domaines.
En 1884, le premier tram à traction chevaline dessert la ligne Renoupré. Bientôt on construit la ligne du chemin de fer, qui met Verviers en contact avec les villes européennes.
En 1900, tous les trams s’alimentent à l’électricité. Plus tard, les usines de l’Intervapeur procurèrent de l’eau chaude aux industries et à de nombreux particuliers.
Ce fut pour Verviers une période de développement extraordinaire et de splendeur dont témoigne encore son patrimoine architectural, fruit de riches lainiers qui bâtirent à cette époque de véritables fortunes.
Bon nombre de ces barons de la laine venaient de l’étranger. Les Biolley, originaires de Savoie, arrivèrent à Verviers vers 1725. Les Duesberg étaient originaires de Wesphalie, les Peltzer venaient d’Aix la Chapelle, les Zurstrassen, les Müllendorf du Luxembourg, William Cockerill était un mécanicien anglais, arrivé à Verviers en 1799, son fils John lui succéda. Puis des natifs de Verviers prirent la relève, tels Ortmans – Hauzeur déjà cité.


Mais – et nous abordons ici l’autre face de cette époque – l’essor industriel du XIXème siècle, s’il fit de la Belgique un pays relativement riche, avait toutefois son côté sombre : la naissance d’un prolétariat surexploité, illettré, sans droits, ni défenses, et un sous-prolétariat plus misérable encore, je veux parler des femmes et des enfants. Nous pénétrons alors dans un autre monde.


En Belgique, en 1840, les conditions de vie sont encore catastrophiques : un tiers de la population manque de pain et vit dans des taudis insalubres, exigus, mal aérés, sans eau courante, sans latrines, sans lumière. A cette époque, on comptait 12 personnes par maison en moyenne. C’était souvent deux familles qui cohabitaient et qui se partageaient les pièces par un simple trait de craie. Les égouts n’existaient pas, seul le canal des usines et la Vesdre recevaient les immondices, les eaux usées et les déjections naturelles, les rats pullulaient … cause de maladies, témoins les épidémies de choléra en 1833, 1849, 1866. Puis, peu à peu, les rues furent pavées et aménagées des trottoirs, les rigoles furent remplacées par des canaux souterrains.
Certains patrons commencent à prendre conscience de la misère ouvrière et tentent d’améliorer les conditions de vie… On fit bâtir le premier logement social, rue des Grandes-Rames. Mais ces conditions restent précaires et certaines pratiques de l’époque nous semblent aujourd’hui bien curieuses. Ainsi, la collecte d’urine, précieuse dans le lavage des laines, était une pratique répandue. Deux fois par semaine, une charrette tirée un cheval collectait dans un grand tonneau les urines que les ménagères apportaient par seaux en échange de quelques centimes.
On évoque un vieux voiturier qui, pour s’assurer qu’on n’avait pas ajouté de l’eau dans les urines y trempait son index et le suçait !
L’insalubrité des ateliers était aussi épouvantable. Dans les lieux d’aisance, les portes devaient rester ouvertes, dans des locaux où on mange, où on se déshabille. On marche pieds nus à cause de l’état graisseux du sol.


Parmi les plus mal lotis, les femmes et les enfants, qui constituent une main-d’œuvre à bon marché, et pas seulement dans l’industrie textile. Les « botteresses » du Borinage, les « hiercheuses » liégeoises travaillent comme des bêtes de somme. Les filles-mères sont nombreuses, surtout parmi les servantes célibataires, séduites et abandonnées par le maître de maison, par le contremaître de l’usine – et cela dès la puberté. La recherche de paternité est interdite par la Loi (article 340 du Code pénal). On avorte beaucoup dans les milieux populaires, les infanticides ne sont pas rares : pour ne pas être congédiée, la mère supprime l’enfant en le laissant mourir de faim, en le brûlant dans le foyer, en l’étouffant ou en le noyant. A la campagne, on le faisait dévorer par les cochons. Pour éviter de pareils drames, on a inventé le Tour, sorte d’armoire pivotante qui permet de déposer l’enfant sans être vu. Des institutions religieuses recueillaient ces enfants abandonnés et en faisaient des domestiques. Il faut attendre 1835 pour qu’à Verviers et à Gand, des entreprises textiles d’avant-garde se dotent de crèches. Celles-ci sont ouvertes de 5 heures du matin à 22 heures.


Le travail des enfants est une autre plaie de cette époque. Dans les secteurs de l’artisanat et du travail à domicile, les enfants sont mis au travail dès l’âge de 5 ou 6 ans. Dès l’âge de 7 ans, ils travaillent dans les mines, dans les filatures, les verreries. Ils sont occupés de 12 à 14 heures par jour, le dimanche compris et parfois la nuit. Beaucoup sont victimes de malformations, atteints de rachitisme ou de tuberculose, les accidents ne sont pas rares.


En 1846, 17 % des enfants meurent avant l’âge de 3 ans. Ces victimes s’élèvent à 27 % chez les mères célibataires, un accouchement sur 100 entraîne la mort de la mère.


L’usine ouvre peu avant 5 heures du matin, par tous les temps et toute l’année. On travaille jusqu’à midi, avec une interruption d’une demi-heure, à 8 heures 30. A midi, on retourne manger chez soi, puis retour à la fabrique à 13 heures jusqu’à 19 heures. Sans compter les heures supplémentaires ou le travail de nuit si le patron le demande. Et il n’est pas conseillé de refuser …


Ce n’est qu’en 1889 que le Parlement interdit le travail des enfants de moins de 12 ans et limite à 12 heures par jour la durée du travail des jeunes de 12 à 16 ans et interdit le travail de nuit pour les jeunes de moins de 16 ans et pour les filles de moins de 21 ans. Mais cette réglementation ne s’applique qu’à un certain type de travaux industriels.
Rappelons aussi qu’à cette époque, l’enseignement n’est pas obligatoire. Les rois de la laine étaient pour la plupart opposés à ces réformes : « en votant le projet de Loi limitant le travail des enfants, nous nous engagerions sur la pente doublement fatale de la réglementation et de l’instruction obligatoire » (Simonis, industriel lainier et député).


En effet, l’école obligatoire priverait ces patrons d’une main-d’œuvre à bon marché et entièrement soumise. Il faudra attendre 1914 pour que le travail des enfants soit interdit et l’école obligatoire. Mais le chemin était encore long pour arriver à plus de justice et d’humanité.
Et si les conditions économiques aujourd’hui se sont fortement améliorées, rien ne dit que justice et humanité sont au rendez-vous. Nous en sommes même encore loin. Justice, humanité, démocratie, rien n’est jamais acquis définitivement. La roue tourne et jamais ne s’arrête : grandeur et décadence, expansion et contraction, ouverte et fermeture, tel est le rythme de l’Histoire.

Suite à cette conférence / débat, la présidente du Centre a été contactée par VEDIA pour une interview dans le cadre de la Semaine Internationale des Droits des Femmes à Verviers. Martin Goblet a été choisi pour participer à cette émission TV et a donc répondu aux questions relatives à l’époque de l’industrie lainière à Verviers, à la santé des femmes et des enfants et aux conditions de vie des ouvriers.
Il a ainsi pu expliquer les grandes lignes de son exposé et donner des exemples des conditions de vie des ouvriers qui ont connu la grande époque des usines textiles à Verviers. En conclusion, on peut dire que d’un côté, les patrons s’enrichissaient mais de l’autre côté, les conditions de vie de la population étaient souvent dramatiques et extrêmement difficiles à supporter.

https://www.vedia.be/www/video/info/societe/martin-goblet-quot-les-femmes-a-verviers-au-xixeme-siecle-un-sous-proletariat-quot-_101192_272.html