2020 – Conférence / Film / Débat : « Polisse »

Le film « POLISSE » de MAIWENN sur le thème de la protection des mineurs a été présenté au public. 

Synopsis : Le quotidien des policiers de la BPM (Brigade de Protection des Mineurs) ce sont les gardes à vue de pédophiles, les arrestations de pickpockets mineurs mais aussi la pause déjeuner où l’on se raconte ses problèmes de couple ; ce sont les auditions de parents maltraitants, les dépositions des enfants, les dérives de la sexualité chez les adolescents, mais aussi la solidarité entre collègues et les fous rires incontrôlables dans les moments les plus impensables ; c’est savoir que le pire existe, et tenter de faire avec …

Intervenant(e)s invité(e)s : l’animation du débat était assurée par Mme Josiane MESTDAGH, 1ère Inspectrice, et

M. Jean-Marie MONSEUR, Enquêteur à la Section Mœurs / Proxénétisme de la Brigade judiciaire de Liège.

RAPPORT

Intervenant(e)s :

–        Mme Josiane MESTDAGH, 1ère Inspectrice à la Section Proxénétisme / Traite des êtres humains ;

–        M. Jean-Marie MONSEUR, Enquêteur à la Section Proxénétisme / Traite des êtres humains ;

–        Une criminologue actuellement en stage dans la Section Proxénétisme / Traite des êtres humains ;

–        M. Alain HOUART, Docteur en Droit, ancien Magistrat au Tribunal de Verviers.

Présentation par Monsieur Houart

La présidente présente les intervenants de la rencontre et explique le déroulement de la soirée.  Ensuite, elle passe la parole à Alain HOUART qui tient à présenter le film pour donner quelques précisions à ce sujet.  Selon lui, ce film n’est pas mauvais mais le focus et l’intérêt du metteur en scène sont plutôt centrés sur la vie privée des policiers confrontés à leur métier avec les aspects les plus sombres qu’ils vivent au quotidien.  Être confrontés aux enfants brutalisés ou proies de pédophiles, c’est difficile à intégrer dans sa vie quotidienne.  Le metteur en scène a insisté beaucoup sur ce pan de leur vie.

Après la projection du film, chaque participant a donné son avis et tous ont trouvé le film dur et assez difficile à regarder car il présente beaucoup de souffrances, surtout chez les enfants.  Il montre des êtres humains en souffrance et détresse, qu’il s’agisse de policiers ou de victimes.  Ce film n’est pas uniquement lié à la pédophilie.  Certaines scènes, trop longues, n’avaient pas d’intérêt spécial alors que d’autres scènes, trop courtes, auraient nécessité un meilleur traitement. A l’époque actuelle, la police est mieux formée aux abus contre les enfants.

Grâce à ce film, on se rend compte que les policiers sont comme nous, il s’agit d’êtres humains.  Certaines scènes sont humiliantes (comme les moqueries envers une jeune fille) mais  paradoxalement, certaines situations amènent les policiers à perdre pied et à avoir des fous rires incontrôlés dus à une grande nervosité.  De temps en temps, il faut pouvoir rire et se changer les idées pour encaisser tout ce qui est vécu au quotidien. 

Certains participants pensent que le film est encore bien en-dessous de la réalité et que le réalisateur a volontairement édulcoré certaines scènes qui auraient été jugées bien trop choquantes si elles avaient été tournées autrement.  La réalité du terrain est bien pire mais a été volontairement cachée dans le film.  Jean-Marie MONSEUR confirme bien que le film est en-dessous de la réalité car certains dossiers sont terribles.  Ce qui est plausible, c’est le suicide de la policière qui est le reflet de la réalité.  On n’en parle pas assez mais le suicide dans la police est un phénomène régulier très tabou.  Ce problème est réel et typiquement français.  Cela survient aussi en Belgique mais on en parle bien moins. 

Plusieurs personnes ne se doutaient pas que la pédophilie était un phénomène aussi quotidien et qu’il avait une telle ampleur.

Dans ce film, il y a des choses insupportables qui font penser à ces personnes séquestrées, enlevées, manipulées, …  Dans le métier de policier, le stress est intense et il faut être fort, équilibré pour pouvoir le gérer.  Le film montre une équipe soudée qui ne différencie pas vraiment vie privée et vie professionnelle.  Dans l’ensemble, le message du film est bien passé et chacun a été étonné des mêmes choses. 

Alain HOUART signale quand même que la police française est très différente de la police belge et qu’aucune comparaison n’est possible. 

Quand on imagine la police, on l’imagine comme une institution et on n’imagine jamais un juge en maillot de bain en train d’apprendre à nager à ses enfants.  On ne pense jamais que ces personnes ont une vie comparable à la nôtre et on voit les policiers comme un groupement de personnes en uniforme.  Dans le film, le commissariat tel qu’il est présenté est peut-être similaire à un commissariat en France alors qu’en Belgique, le commissariat est organisé bien différemment. 

La parole est donnée ensuite à Jean-Marie MONSEUR, premier intervenant de la rencontre. 

Il précise que depuis quelques temps une campagne de dénigrement circule à l’encontre des policiers mais ceux-ci ne sont jamais interrogés par les médias. Ce débat est justement l’occasion de pouvoir en apprendre davantage sur la vie quotidienne des policiers. 

Josiane MESTDAGH prend ensuite la parole et exprime son avis sur le film.  D’après elle, il s’agit d’une caricature phénoménale du monde policier. 

Elle explique qu’en Belgique, les techniques d’audition ne se passent pas du tout comme reprises dans le film.
Exemple : Une audition de mineur sera effectuée par un enquêteur formé TAM (c’est-à-dire aux techniques d’audition des mineurs), dans  un local qui lui sera présenté au préalable. 

 L’enfant se trouve seul avec l’enquêteur dans un local d’audition, un expert psy est installé dans un bureau adjacent.  Dans le local technique se trouve un autre enquêteur qui écoute et parle au micro à son collègue en charge de l’audition.  Un autre enquêteur s’occupe de noter et d’enregistrer les dires de l’enfant.  Cet enfant voit tout le monde et est bien au courant des conditions dans lesquelles il est entendu.  Celui-ci n’est jamais, à aucun moment, mis en contact avec son agresseur.

La criminologue française qui effectue actuellement son stage auprès de la Section de Liège prend ensuite la parole.  Elle pense qu’en réalité, rien ne se passe comme dans le film.  Les policiers ne sont pas aussi détendus et soudés comme ce qui est montré dans le film, il n’y a pas autant de familiarité. 

Jean-Marie MONSEUR souligne que, en ce qui concerne l’équipe, les situations montrées dans le film n’existent pas en réalité.  Il est vrai que parfois, il faut s’adapter aux détenus et même être grossier comme eux.  Cela n’est pas la normalité mais cela peut arriver.  Le fait de crier n’est pas indispensable lors d’une audition car si on frappe ou si on crie, il est impossible d’obtenir des aveux.  Sur les gros dossiers, il y a deux enquêteurs et sur les dossiers plus petits, il n’y a qu’un seul enquêteur.  Impossible d’avoir cinq personnes au cours d’une audition comme cela est présentré dans le film.  Généralement, les inspecteurs travaillent en civil et sans phare bleu sur le tableau de bord de la voiture car ils ne doivent pas se faire remarquer.  Dans la réalité, il faut travailler discrètement. Le film est une fiction qui comporte beaucoup d’invraisemblances.

Alain HOUART explique que le metteur en scène a fait un stage dans un commissariat de police du 6ème arrondissement de Paris (Bobigny, Clichy, …) et que la situation est bien restituée dans le film.  La délinquance est différente selon les régions et les policiers le sont également.  Il ne faut pas se faire une idée de la police belge par rapport à ce film.  Les magistrats parisiens ont un feu bleu et une arme de type Smith & Wesson.  Les mentalités françaises et belges sont fort différentes.  Ce film a pourtant reçu des prix au Festival de Cannes mais il donne une mauvaise image de la police et c’est dommage.

Josiane précise qu’il y a des crétins dans tous les métiers et pas uniquement à la police comme les gens le pensent parfois.  Il ne faut pas faire de généralités et se dire qu’on travaille avec des êtres humains et que le métier de policier est très déshumanisé.  Les policiers qui sont dans leur voiture en patrouille ne peuvent pas avoir faim, ni soif, ni froid, ni peur mais la peur est pourtant essentielle pour sauver sa peau.  En 40 ans de métier, elle a vu défiler énormément de dossiers dont l’affaire « Stacy et Nathalie » enlevées dans le quartier Saint -Léonard à Liège par un pédophile et retrouvées assassinées peu après dans un égout près du chemin de fer.  Tout cela marque énormément et les policiers sont suivis psychologiquement après chaque intervention délicate car il y a des risques de suicide et de dépression importants.  Il faut pouvoir évacuer directement le problème car autrement, de retour à la maison, le policier pourrait tout à fait mettre fin à ses jours.  Pour comprendre un policier, il faut être un autre policier et le travail des psychologues est très important pour désamorcer le stress et les angoisses liés à des interventions psychologiquement très difficiles.   A la base, le policier doit être bien équilibré et avoir un bon entourage autour de lui. 

Il faut obligatoirement avoir un dérivatif, qu’il s’agisse de sport, de musique, …  Dans le film, les policiers vivent en autarcie et cela n’est pas normal car ils sont toujours ensemble sans aucune autre porte de sortie.  Il leur arrive parfois de « péter les plombs » et de lâcher prise quand la charge émotionnelle est trop forte et qu’ils ont épuisé toute leur résistance.  Les nerfs lâchent et ils ne peuvent plus se contrôler, c’est un peu comparable à un fou rire qui surviendrait lors d’un enterrement.

Jean-Marie MONSEUR explique que les policiers ne parlent pas de leurs soucis professionnels à leur famille car ces témoignages sont trop difficiles à entendre.  Les dossiers sont insoutenables et il faut préserver sa famille avant tout.

Une personne âgée trouve que les policiers sont mieux maintenant, , plus compréhensifs et moins intimidants.  Par contre, elle pense qu’ils étaient plus respectés il y a une trentaine d’années. 

De nos jours, les policiers ont dû basculer davantage vers le social mais ils font trop de social et trop peu de répression, ce qui est anormal.  Il y a un temps pour faire du social, un temps pour la prévention et un temps pour la répression. 

Un débat avec un public comme c’est le cas lors de notre rencontre / débat aurait été impossible il y a trente ans : la société a évolué et la police se devait d’évoluer en même temps.

Josiane MESTDAGH ne veut surtout pas que les parents disent aux enfants que les policiers les mettront en prison s’ils ne sont pas sages car si un jour, un enfant est perdu, il n’ira jamais trouver les policiers.  C’est une erreur de faire cela.

Il arrive que certains jeunes policiers de 19 ans se prennent trop au sérieux avec leur uniforme et leur arme et il faut vraiment leur mettre des limites et les canaliser.  On voit régulièrement des combis avec deux jeunes de 19 ans armés à l’intérieur, ce sont des bombes à retardement.  Il faut pouvoir les remettre à leur place quand cela est nécessaire.  Les jeunes policiers devraient automatiquement être encadrés par un policier plus âgé.  Un ancien permet de calmer des jeunes trop nerveux qui peuvent manquer d’expérience et de maturité.

Actuellement, il y a beaucoup de femmes à la police mais cependant, il est important de ne pas associer deux femmes inexpérimentées sur le terrain car c’est dangereux.  La femme est – normalement – moins forte que l’homme mais l’homme pourrait perdre plus vite patience.  Il faut donc trouver les bons binômes femme / homme pour plus d’efficacité.

Josiane MESTDAGH est convaincue d’exercer le plus beau métier du monde et elle précise qu’elle a eu beaucoup de conversations riches et profondes, notamment avec des SDF et des prostituées.  Les personnes de la nuit vont lui manquer quand elle prendra sa retraite.  Le milieu LGBT est très attachant et des liens se sont créés, notamment avec des prostituées toxicomanes.  La police collabore aussi beaucoup avec l’association ICAR qui s’occupe des prostituées dans la rue à Liège.  Il faut savoir que le premier proxénétisme d’une prostituée, c’est la drogue car si on lui retire ce produit, elle entrera dans un centre de désintoxication et pourra apprendre un autre métier et ensuite elle pourra repartir dans la vie active. La plupart n’ont même pas d’endroit où dormir et dorment souvent sur des chantiers sous des petites tentes dans une précarité totale.

Parfois, la police n’agit pas comme elle le devrait.  A Verviers, il y a quelques années, un échevin avait décidé de classer insalubres une grande part des logements et beaucoup de personnes sans moyens se retrouvaient rapidement la rue.  Josiane MESTDAGH explique que ce procédé sert à lutter contre les marchands de sommeil qui sont des ordures qui exploitent la misère humaine en louant des taudis à des familles pauvres.   L’offre de logements est relativement faible pour les personnes à très faibles revenus devant être relogées suite à une décision d’insalubrité.  En 2 mois, celles-ci sont alors obligées de quitter un logement insalubre et ne retrouvent pas de logement.  C’est une situation courante. 

Pourquoi les pays ne combattent-ils pas ces marchands de sommeil ?  Il y a peut-être une raison à cela, d’après les policiers.  Il faut se poser les bonnes questions.  La plupart des migrants veulent aller en Angleterre et agressent les routiers à Soumagne pour embarquer.  Pour lutter contre cela, les policiers ne sont que 2 ou 4 en patrouille et ne veulent plus aller sur place car les migrants sont parfois une cinquantaine.  Il y a un manque de policiers criant en Belgique.

Les horaires des policiers sont très variables : certains prestent un horaire classique  de 8 h à 17 h et d’autres démarrent à 3 heures du matin et sont aussi réquisitionnés pour d’autres opérations nécessitant leur aide. 

Il est difficile pour les policiers de garder toujours leur calme lorsqu’ils sont insultés car certaines insultes sont insupportables et il leur arrive de perdre leur calme.  Si cela arrive, dans le P-V, c’est noté et le magistrat est prévenu immédiatement.  Les raisons sont expliquées dans le P-V et jamais dissimulées.

Les policiers sont des gens comme tout le monde mis à part qu’ils portent une arme à la ceinture mais ils ne doivent pas être mal considérés pour la cause.

Dans ce métier, il faut apprendre à connaître les gens et pouvoir s’adapter à eux sinon, il est impossible d’obtenir la moindre information.  Par exemple, il est difficile d’agir contre les gitans car ils ne possèdent rien et ne peuvent rien payer. 

Pascale LECLERCQ